mercredi 29 février 2012

Pourquoi Malek Bennabi en voulait à Abane Ramdane




Salim Mesbah Elwatan
Assassiné par ses frères d’armes en décembre 1957,
Abane Ramdane continue de hanter la mémoire de la Révolution algérienne .
 L’homme du Congrès de la Soummam a dû affronter l’anathème et le parjure. Le livre coup-de-poing, Ben
Bella-Kafi-Bennabi contre Abane (les raisons occultes contre la haine)* de
Belaïd Abane, qui sortira demain, répond à ceux qui ont voulu salir
sa mémoire et relativise plusieurs mythes, dont celui de la figure
de Malek Bennabi. Des bonnes feuilles en exclusivité.
                                                                                 
Parmi les contempteurs de Abane, il y a
précisément Malek Bennabi. Ce
lilliputien de la Révolution algérienne, plein
d’une suffisance médisante, avait la rancune
particulièrement tenace. La première attaque
malveillante, tombée comme un couperet
sur Abane dix ans après l’indépendance,
venait en effet de cet intellectuel, islamiste
francophone, écartelé entre le «phénomène
coranique» et la douceur émolliente de la vie
provinciale française. Sans la moindre
preuve, Bennabi asséna :
«Georges Habbache dans le processus révolutionnaire
palestinien et Abane Ramdane dans le
processus algérien sont des erreurs
introduites de l’extérieur : des erreurs
induites.»
Qui était Malek Bennabi ? Il n’est pas
inutile d’évoquer quelques aspects de sa
vie et de son oeuvre afin de mieux
comprendre les ressorts intimes de la haine
qu’il portait aux dirigeants nationalistes
algériens et, tout particulièrement, à Abane.
Dans Dreux (France, ndlr) occupé, il se met
au service des Allemands. Il collabore avec
l’occupant comme responsable technique
municipal de la ville. Il est licencié quelques
mois plus tard. Au chômage, il choisit
d’aller travailler en Allemagne au début de
l’été 1942. En 1944, le vent tourne en faveur
des Alliés et Bennabi décide de rentrer en
France. A Dreux où il retrouve sa femme, il
se met au service de l’administration
capitularde de Vichy. Pas pour longtemps,
car il doit faire cette fois avec l’armée
américaine qui occupe la ville. Accusés de
collaboration avec l’occupant allemand,
Bennabi et son épouse sont arrêtés en août


1944 et internés au camp de Pithiviers. Ils
seront libérés au printemps 1945. Le couple
est arrêté pour la deuxième fois et incarcéré
à la prison de Chartres en octobre 1945.
L’accusation de collaboration avec l’ennemi
nazi est de nouveau retenue contre Bennabi.
Ce dernier est remis en liberté au printemps
1946. Le technicien eurélien aura passé en
tout 15 mois dans les geôles de la France
libre pour avoir collaboré…
… Jusqu’en 1954. Bennabi ne se réveilla
que pour publier, non pas un
encouragement à la Révolution
commençante, mais son contraire : un livre
décourageant et défaitiste où il traite de «la
prédisposition collective» des Algériens à
«l’asservissement colonial», ce que lui
reprochera sévèrement un Mostefa Lacheraf
indigné. Surfant sur l’actualité, Bennabi
publie, en 1955,

l’Afro-asiatisme.

Conclusions sur la conférence de Bandoeng




,

que les éditions du Seuil lui refusent. Début

1956, la Révolution prend son essor avec le

ralliement de l’UDMA, des Oulémas et

l’arrivée au Caire de Ferhat Abbas et de ses

amis à la fin de l’hiver 1956. C’est donc

sérieux, avait dû penser Bennabi, qui décide

de sauter le pas et de prendre le train de

l’histoire en marche. Il quitte alors les

berges de l’Eure pour les bords du Nil.

C’était en avril 1956. La table

révolutionnaire était mise. Et Bennabi,

invité impromptu, tenait à y prendre sa

place.

Le docteur Lamine Debaghine, chef de la

Délégation extérieure du FLN au Caire,

se méfie de l’accès soudain et inattendu de

patriotisme et

d’anticolonialisme de

ce nouveau venu,

inconnu au bataillon

du nationalisme

algérien. Il accepte

néanmoins de le

recevoir pour le tancer

vertement et repousser

ses avances en lui

reprochant d’être trop

longtemps resté



«en

dehors de la mêlée




… Vexé et aigri,

Bennabi n’aura de

cesse que de se venger

du docteur Lamine

auquel il vouera une

rancune et une aversion

tenaces. La direction exécrée, et Abane au premier chef. C’est en

effet ce dernier qui avait dépêché Lamine

Debaghine au Caire pour chapeauter les

délégués extérieurs, y compris Ahmed Ben

Bella, que le pouvoir égyptien avait pourtant

déjà intronisé comme «porte-parole de

l’Armée de libération nationale». Et comme

l’ennemi de l’ennemi peut facilement

devenir un ami, Bennabi offre ses services à

Ben Bella. Mais ce dernier est lui-même peu

enthousiaste de s’adjoindre un inconnu du

Mouvement national…

Il va faire des pieds et des mains pour se

trouver un nouveau sponsor. Il demande

un poste quelque part dans un pays

musulman «pour jouer un rôle dans la

Révolution». Le FLN, qui s’en méfie de plus

en plus, rejette sa demande et menace même

de lui suspendre sa «solde» pour l’amener à

modérer ses diatribes contre les dirigeants

dont aucun ne trouve grâce à ses yeux. Par

dépit et par opportunisme, il se jettera dans

les bras du pouvoir égyptien. Reniant les

Frères musulmans, sa mouvance naturelle,

parce qu’elle était la bête noire du pouvoir

nassérien, et donnant quelques gages de son

opposition au wahhabisme, l’ennemi

irréductible du nassérisme, Bennabi n’hésite

pas à se détourner de la Révolution pour se

mettre au service du Congrès musulman

sous la houlette d’un officier libre, Anouar

Sadate, son secrétaire général. Pour le FLN,

ce ralliement est un

casus belli. C’était

exactement ce qu’il ne fallait pas faire.
Pourquoi cet échec sur toute la ligne,
est-on tenté de s’interroger. En plus de
son exil prolongé en périphérie extrême du
Mouvement national, de son manque de
sens et de culture politiques, conjugués à un
égotisme démesuré, il est certain que son
prêche défaitiste sur la «colonisabilité» et le
«rôle nécessaire de la colonisation» avaient
valu à Bennabi sa mise à l’écart totale et
définitive des cercles dirigeants dans la
Révolution et, plus tard, dans l’Algérie
indépendante. La colonisabilité ! Voilà le
concept nébuleux qui l’a fait certes
connaître, mais a valu aussi à Bennabi, en
grande partie, son statut de pestiféré dans le
Mouvement de libération nationale. De quoi
s’agit-il ? Pour Bennabi, le problème,
l’urgence, ce n’était pas de mettre à bas le
colonialisme ; c’était plutôt de savoir
pourquoi la société algérienne avait été
colonisée. La question ne manque certes pas
de pertinence. C’est la réponse donnée par
Bennabi qui suscita l’indignation des
milieux dirigeants et des intellectuels
algériens. En faisant court, pour Bennabi, si
le peuple algérien a été colonisé c’est qu’il
l’avait cherché en se mettant dans la posture
de peuple colonisable. Il conclut même que
la colonisation était un «mal nécessaire».



Bennabi, était un
intellectuel sans attaches
avec le mouvement national


Comment un autodidacte comme Malek Bennabi, sans

formation politique, est-il devenu le gourou de certains

hommes politiques algériens ?

Toute une frange de l’islamisme politique, qui a toujours

refusé d’adopter l’islamisme radical, s’est portée sur ses

théories fumantes parce qu’il était francophone et qu’il

représentait un islamisme soft. C’est pour cela que dans les

années 1980, certains leaders politiques comme Noureddine

Boukrouh (fondateur de PRA, Parti du renouveau algérien) se

sont ouvertement réclamé de sa pensée. Bennabi a toujours joui

d’une sorte d’aura. Certains étaient persuadés de la portée de sa

vision et de sa pensée, notamment sur la société musulmane.

Mais dans votre livre, il est dépeint comme un opportuniste

voulant se construire un destin…

Effectivement, c’est ce que j’écris. Bennabi a tout fait pour

monter dans le train de l’histoire algérienne, mais les

responsables de l’époque n’en voulaient pas. Il leur avait paru

suspect. Bennabi était persuadé d’avoir un grand destin.

D’ailleurs, contrairement aux authentiques intellectuels

engagés, Bennabi était un intellectuel sans attache avec le

Mouvement national. Il a toujours préféré s’épuiser à fustiger

hargneusement ses frères, qu’il traitait par dérision de

«zaïmillons» et d’«intellectomanes». En réalité, Bennabi est

resté trop longtemps en dehors du jeu et a préféré, pour se faire

remarquer, l’invective rageuse.

Comment expliquez-vous la haine que Bennabi avait à

l’encontre de Abane Ramdane ?

C’est la réaction d’un homme aigri à qui l’on a refusé de jouer

un rôle majeur lors de la Révolution algérienne et qui, pour se

venger, s’en est pris à Abane. En réalité, Malek Bennabi a d’abord

reproché au docteur Lamine Debaghine, chef de la Délégation

extérieure du FLN au Caire, d’avoir refusé ses services. Il lui

vouera une rancune et une aversion tenaces. Après cela, il s’est

attaqué à Abane car c’était lui qui avait dépêché Lamine

Debaghine au Caire pour chapeauter les délégués extérieurs.

Que reste-t-il de la pensée de Bennabi ?

Je ne saurais dire. A son retour en Algérie après

l’indépendance, il n’a pas eu les honneurs qu’il imaginait

mériter. On l’a casé d’abord comme recteur de l’Université

d’Alger puis comme directeur de l’enseignement supérieur,

jusqu’à son limogeage en 1967 par Ahmed Taleb El Ibrahimi.

Malek Bennabi est mort dans une indifférence générale et

totale, le 31 octobre 1973, à l’âge de 68 ans.

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