Jean El Mouhouv Amrouche : "l'inventeur des entretiens radiophoniques"
Biographie
Jean Amrouche de son nom Jean El-Mouhoub Amrouche, naît le 6 février 1906 à d'Ighil Ali (Rue des Tambourins), et ne fut déclaré à l'état civil que 7 jours plus tard soit le 13 Février 1906, à cause du temps neigeux, dans le versant Nord de la vallée de la Soummam.
Convertie au christianisme, la famille de Jean Amrouche s'installe à Tunis. Après de brillantes études secondaires, Jean Amrouche entre à l'École normale de Saint-Cloud. Il est ensuite professeur de Lettres dans les lycées de Sousse, Bône et Tunis, où il se lie avec le poète Armand Guibert, et publie ses premiers poèmes en 1934 et 1937. Pendant la Seconde Guerre, il rencontre André Gide à Tunis, et rejoint les milieux gaullistes à Alger.
Jean El Mouhouv Amrouche le journaliste
Jean Amrouche est, de février 1944 à février 1945, à Alger, puis de 1945 à juin 1947 à Paris, le directeur de la revue L'Arche, éditée par Edmond Charlot, qui publie les grands noms de la littérature française (Antonin Artaud, Maurice Blanchot, Henri Bosco, Joë Bousquet, Roger Caillois, Albert Camus, René Char, Jean Cocteau, André Gide, Julien Green, Pierre-Jean Jouve, Jean Lescure, Henri Michaux, Jean Paulhan, Francis Ponge .).
Jean Amrouche réalise simultanément de très nombreuses émissions littéraires, sur Tunis-R.T.T. (1938-1939), Radio France Alger (1943-1944), et surtout Radio France Paris (1944-1958), dans lesquelles il invite philosophes (Gaston Bachelard, Roland Barthes, Maurice Merleau-Ponty, Edgar Morin, Jean Starobinski, Jean Wahl), poètes ou romanciers (Claude Aveline, Georges-Emmanuel Clancier, Pierre Emmanuel, Max-Pol Fouchet, Jean Lescure, Kateb Yacine) et peintres (Charles Lapicque).
Il est l'inventeur d'un genre radiophonique nouveau dans la série de ses entretiens, notamment ses 34 Entretiens avec André Gide(1949), 42 Entretiens avec Paul Claudel (1951), 40 Entretiens avec François Mauriac (1952-1953), 12 Entretiens avec Giuseppe Ungaretti(1955-1956).
Après avoir été mis à la porte de Radio France par le Premier ministre de l'époque, alors qu'il sert d'intermédiaire entre les instances du Front de libération nationale algérien et le général de Gaulle dont il est un interlocuteur privilégié, Jean Amrouche ne cesse à la radio suisse, Lausanne et Genève, de plaider de 1958 à 1961 la cause algérienne. Il meurt le 16 avril 1962 à Paris d'un cancer quelques semaines après l'accord du cessez-le-feu. Jean Amrouche a tenu de 1928 à 1961 un journal qui demeure inédit.
Jean El Mouhouv Amrouche le poéte
- "Cendres, poèmes". (1928-1934). 1re édition, Tunis, Mirages, 1934. 2e édition, Paris, L'Harmattan, présentation de Ammar Hamdani, 1983.
- "Étoile secrète". 1re édition, Tunis, "Cahiers de barbarie", 1937. 2e édition, Paris, L'Harmatan, présentation de Ammar Hamdani, 1983.
- "Chants berbères de Kabylie". 1re édition, Tunis, Monomotapa, 1939. 2e édition, Paris, collection "Poésie et théâtre", dirigée par Albert Camus, Editions Edmond Charlot, 1947. 3e édition, Paris, L'Harmattan, préface de Henry Bauchau, 1986. 4e édition (édition bilingue), Paris, L'Harmattan, préface de Mouloud Mammeri, textes réunis, transcrits et annotés par Tassadit Yacine, 1989.
- "Tunisie de la grâce", gravures de Charles Meystre, impression et typographie de Henri Chabloz à Rénens (Suisse), tirage limité, 1960. Republié dans la revue Études méditerranéennes, n° 9, Paris, mai 1961.
- "Les poèmes Ébauche d'un chant de guerre" (à la mémoire de Larbi Ben M'hidi, mort en prison le 4 mars 1957) et Le combat algérien (écrit en juin 1958), publiés en revues, ont été repris dans Espoir et Parole, poèmes algériens recueillis par Denise Barrat, Paris, Pierre Seghers éditeur, 1963.
"Rappelle-toi Jean, tu ne savais pleurer qu’en berbère", lui écrivit un jour Mouloud Mammeri! Arraché aux siens, comme un frêle rameau cassé d’un arbre, il ne cessa, sa vie durant, de répandre cette sève indélébile et tenter de sa haute branche de se redonner des racines. Pleurer est sans doute l’ultime repère qu’il garda de cette enfance déchirée de petit Fouroulou d’Ighil-Ali. C’est dans ces moments de haute solitude que le grand Jean rencontrait le petit El-Mouhouv !
"Les morts ne nous quittent pas tout de suite, ni tout à fait .Invisibles mais présents, ils restent encore et quelques fois longtemps à errer parmi nous. Telle est la légende dont s’est bercée notre sagesse ancienne tant d’années, tant de siècles" , disait Dda L’Mouloud.
Nous continuons à y croire doucereusement, tant cette fable nous console et nous fait du bien.
Et si Jean-El-Mouhouv, a hanté un siècle durant les collines d’Ighil-Ali à la recherche de lui-même, aujourd’hui, ce sont les retrouvailles. Nous rouvrons grandes les portes grinçantes, Jean-El-Mouhouv rentre et nous l’accueillons comme seules les gens d’Ighil-Ali savent accueillir le printemps !
Nous n’avons besoin ni d’encens ni de chandelles, un rayon de soleil illumine la maison.
Nous dirons ses poèmes tels qu’il les a sucés avec le lait de Fadhma At-Mansour pour assécher les pleurs, et nous rendrons les vers tels qu’ils chantaient en lui. Les Amrouche, connaîtront "la joie des choses remises enfin à leur juste place, des tensions enfantines enfin défaites , des accords enfin accordés".
Jean, ce géant fragile parce que privé de son enfance, a la chance de figurer parmi ces rares hommes qui ont deux cœurs, comme le chantait Slimane Azem, l’un tendre et inaudible bat pour les mamelons verruqueux de son Ighil-Ali natal, l’autre plus puissant pulse la vie au rythme de l’univers. "Je ne puis espérer que mes lecteurs soient touchés par mes poèmes aussi profondément que moi. Des lambeaux de mon enfance, des panoramas de rêve et si l’on veut aller plus avant, tout un univers intérieur hérité chante avec eux, au point que certains jours leur puissance de choc sur ma sensibilité est, à la lettre, insupportable. Enfin la source où je les ai puisés ajoute encore à leur prestige l’éclat tremblant d’une voix qui se taira bientôt” . Ecrivait Jean en 1938 dans l’introduction à ses chants berbères de Kabylie.
Plus insupportable encore est cet oubli, " cette dénégation de son apport majeur tant politique que littéraire ", déni dont Jean a lourdement souffert.
Ce ne sont plus les mêmes lecteurs Jean, aujourd’hui ceux qui te lisent partagent avec toi cette insupportable onde de choc, ces lambeaux d’une enfance refusée, et font leur, le combat pour la reconquête de cette voie, cette voix tremblante qui ne se taira plus jamais.
Nous continuons à y croire doucereusement, tant cette fable nous console et nous fait du bien.
Et si Jean-El-Mouhouv, a hanté un siècle durant les collines d’Ighil-Ali à la recherche de lui-même, aujourd’hui, ce sont les retrouvailles. Nous rouvrons grandes les portes grinçantes, Jean-El-Mouhouv rentre et nous l’accueillons comme seules les gens d’Ighil-Ali savent accueillir le printemps !
Nous n’avons besoin ni d’encens ni de chandelles, un rayon de soleil illumine la maison.
Nous dirons ses poèmes tels qu’il les a sucés avec le lait de Fadhma At-Mansour pour assécher les pleurs, et nous rendrons les vers tels qu’ils chantaient en lui. Les Amrouche, connaîtront "la joie des choses remises enfin à leur juste place, des tensions enfantines enfin défaites , des accords enfin accordés".
Jean, ce géant fragile parce que privé de son enfance, a la chance de figurer parmi ces rares hommes qui ont deux cœurs, comme le chantait Slimane Azem, l’un tendre et inaudible bat pour les mamelons verruqueux de son Ighil-Ali natal, l’autre plus puissant pulse la vie au rythme de l’univers. "Je ne puis espérer que mes lecteurs soient touchés par mes poèmes aussi profondément que moi. Des lambeaux de mon enfance, des panoramas de rêve et si l’on veut aller plus avant, tout un univers intérieur hérité chante avec eux, au point que certains jours leur puissance de choc sur ma sensibilité est, à la lettre, insupportable. Enfin la source où je les ai puisés ajoute encore à leur prestige l’éclat tremblant d’une voix qui se taira bientôt” . Ecrivait Jean en 1938 dans l’introduction à ses chants berbères de Kabylie.
Plus insupportable encore est cet oubli, " cette dénégation de son apport majeur tant politique que littéraire ", déni dont Jean a lourdement souffert.
Ce ne sont plus les mêmes lecteurs Jean, aujourd’hui ceux qui te lisent partagent avec toi cette insupportable onde de choc, ces lambeaux d’une enfance refusée, et font leur, le combat pour la reconquête de cette voie, cette voix tremblante qui ne se taira plus jamais.
Raccorder les coeurs brisés
La déclinaison des chants berbères de Kabylie choisie par Jean-El-Mouhouv n’est pas neutre. Elle traduit parfaitement son état d’âme chaotique en ces années de turbulence d’avant la seconde guerre mondiale.
Il avait alors la trentaine, et venait d’entamer une prometteuse carrière littéraire avec la publication de deux recueils de poèmes "Cendres" et "Etoile secrète".
Le lait tété au sein de Fadhma At-Mansour sourdait dans ses veines et lui remontait sur la langue pour donner naissance à ce terrible cri du cœur matérialisé en poèmes d’une extrême sensibilité.
De prime abord Jean sélectionna son lectorat :
La déclinaison des chants berbères de Kabylie choisie par Jean-El-Mouhouv n’est pas neutre. Elle traduit parfaitement son état d’âme chaotique en ces années de turbulence d’avant la seconde guerre mondiale.
Il avait alors la trentaine, et venait d’entamer une prometteuse carrière littéraire avec la publication de deux recueils de poèmes "Cendres" et "Etoile secrète".
Le lait tété au sein de Fadhma At-Mansour sourdait dans ses veines et lui remontait sur la langue pour donner naissance à ce terrible cri du cœur matérialisé en poèmes d’une extrême sensibilité.
De prime abord Jean sélectionna son lectorat :
"J’ai dit ma peine à qui n’a pas souffert
Et il s’est ri de moi
J’ai dit ma peine à qui a souffert
Et il s’est penché vers moi
Ses larmes ont coulé avant les miennes
Comme moi, il avait le cœur blessé "
Et il s’est ri de moi
J’ai dit ma peine à qui a souffert
Et il s’est penché vers moi
Ses larmes ont coulé avant les miennes
Comme moi, il avait le cœur blessé "
Il n’écrivait donc pas pour le commun des mortels mais uniquement pour les âmes sensibles qui comme lui charriaient d’indicibles blessures mal refermées, celles qui souffrent de l’incompréhension de leur entourage et du déni de leur génie, celles qui se trouvent dans le perpétuel besoin de partager leur souffrance. Pour tous ces incompris, la vie est une immense prison. Ce statut d’étranger dans son propre village Jean ne le supportera jamais.
" Vaste est la prison qui m’étouffe
Punaises, puces me dévorent
D’où me viendras-tu délivrance ?”
Punaises, puces me dévorent
D’où me viendras-tu délivrance ?”
Il ne restait que le déracinement, la brûlure du grand départ. Il invoque alors les divinités et demande leur aide :
"Je t’implore ô maître des cieux
Aplanis les chemins sous mes pas”
"Je t’implore ô maître des cieux
Aplanis les chemins sous mes pas”
Le poète rejeté à cause de sa singularité étaye la raison de son départ :
"J’ai compris, je vous suis étranger "
Fadhma At-Mansour écrivit dans l’histoire de sa vie : "Pour les kabyles nous étions des roumis et pour l’armée française nous étions des bicots, comme les autres", une insoutenable réclusion à laquelle l’exil s’imposait comme l’exutoire paradoxalement salvateur. Là-bas, au moins, on pourra pleurer son saoul et espérer retrouver l’éden perdu ! Là-bas, on pourra même déplacer les montagnes pour dégager la vue et entrevoir le pays natal :
"Fondez montagnes
Qui des miens me séparez
Laissez à mes yeux le passage
Vers mon pays bien-aimé"
Qui des miens me séparez
Laissez à mes yeux le passage
Vers mon pays bien-aimé"
Mais l’exil est mortifère. Jean déroule dans ses traductions l’infini inventaire de séparations plus douloureuses les unes que les autres :
"J’ai entendu mugir le bateau
Dans mon réveil, j’ai pleuré
La séparation m’épouvante"
Dans mon réveil, j’ai pleuré
La séparation m’épouvante"
Et son cœur saigne à l’évocation du pays perdu
" Il y a si longtemps que je ne t’ai vu ô mon pays
Qu’est donc devenu mon frêle grenadier… ? "
Qu’est donc devenu mon frêle grenadier… ? "
Nous prendrons soin de ton arbre Jean, même si nous ne pourrons jamais le cultiver à ta façon d’éternel Jugurtha. Nous venons juste de te découvrir et nous avons mauvaise conscience, coupables sans le savoir d’avoir fait le jeu de ceux qui ont voulu nous enterrer vivants. Il nous revient aujourd’hui de diffuser ton œuvre et colporter la leçon de ta vie, toi "le pont, l’arche qui a fait communiquer deux mondes"… toi qui t’es "engagé de toutes tes forces pour la cause algérienne, pour une question d’honneur et des raisons spirituelles"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire