lundi 13 février 2012

Kabylie : l'apocalypse

La neige à obstrue plusieurs routes de montagne.
 
Les neiges drues et incessantes qui se sont abattues sur les montagnes d'Algérie ces derniers jours, particulièrement dans le Djurdjura, nous interpellent grandement par leurs conséquences, dont il convient de souligner ici, à froid, tout ce que nous avions observé le long de ces journées difficiles. Car même si les montagnards sont habitués à être rudoyés par les rigueurs climatiques, ce n'est pas tous les ans qu'il neige autant sur plusieurs jours jusqu'à atteindre plus de deux mètres par endroits. Beaucoup de villages sont restés isolés du monde, sans aucune nouvelle pendant tout ce temps.
C'est dans ces moments de grande difficulté nationale que nous avons l'occasion de jauger du degré de civilisation d'un peuple ou d'une nation, à l'aune de leur capacité à se dépasser et à passer outre les petits calculs et mesquineries habituels.
Comme à son habitude, l'Etat n'a pas mobilisé ses grands moyens, se permettant même de faire l'autruche devant ce qui, somme toute, n'est qu'un déchaînement de la nature dont les gouvernants ne sont nullement responsables. Par contre, ils sont responsables de la gestion des sinistres et de l'organisation des secours, en aval. Les vies humaines n'ont pas de prix même quand on a à faire à son pire ennemi, ce qui est loin d'être le cas.
Hormis quelques initiatives isolées prises par les militaires dont il convient de saluer l'engagement, la mobilisation normale des hommes de la protection civile en pareille circonstance, nous n'avons pas vu d'hélicoptères survoler le zones de montagnes, parachuter des vivres, et héliporter les malades. Nous n'avons pas plus constaté d'efforts mécaniques pour désenclaver un tant soit peu les villageois, pris au piège. L'Etat central et centralisateur a préféré déléguer toute la charge aux collectivités locales dont on sait pertinemment qu'elles ne disposent pratiquement d'aucun moyen pour faire face. Aucune cellule de crise n'a été mise sur pied par le gouvernement et pas un ministre ou wali n'a réagi ou pris la peine de se déplacer. À croire qu'ils furent tous en vacances.
L'absence de solidarité des autres régions épargnées par les intempéries et des grands centres urbains où l'on n'a noté aucun élan de compassion, a été remarquable, et dénote de la déliquescence profonde de la société algérienne, aliénée dans ses valeurs par cinquante années d'une idéologie uniciste, réfractaire à toute différence, qui n'a fait que semer la haine et la division. C'est dans moments pareils qu'on profite pour réaffirmer et renforcer les liens, aussi ténus et fragiles soient-ils. Dommage que personne n'ait pensé à le faire.
A contrario, en Kabylie, malgré les difficultés de tout ordre et la détresse, car on a manqué de provisions, d'électricité, d'eau potable, de téléphone et de chauffage, les gens ont su rester dignes et solidaires. Ils ont su partager le peu dont ils ont pu disposer. Quel beau comportement à l'endroit de tous les donneurs de leçons ! Pour appuyer mes dires, voici ci-dessous, un SOS lancé par un internaute des Ouacifs, sur un réseau social:
"Allô le monde ! l'ADSL et l'électricité sont de retour ensemble, pour quelques instants, j'en profite pour dire, du fond de l'igloo qu'est devenue ma maison : allô le monde ! y a quelqu'un ? Plus d'électricité plus d'eau (elle a gelé en éclatant les tuyaux)...plus de gaz pour faire fondre la neige...c'est le moment de faire intervenir ceux que nous payons avec nos impôts. Ici en haut de la montagne, nous réclamons l'approvisionnement immédiat en gaz butane, c'est une question vitale et ça devient sérieux! Du gaz pour la Kabylie !!"
J'espère que Djamal L., auteur de ce cri de détresse, s'en est quand même sorti indemne de cet épisode dramatique. L'excès de neige a mis à nu, de la même façon, les carences de ceux d'entre nous établis dans les autres régions d'Algérie et à l'étranger, en matière d'organisation apolitique et sociale horizontale, transcendant tous les clivages, apte à réagir rapidement à ce genre de situation tragique. La rage au coeur, nous nous sommes tous sentis impuissants. Pourtant nous pouvons. C'est pour ainsi dire, l'occasion pour chacun, de faire son examen de conscience afin d'y remédier à l'avenir. À quelque chose malheur serait peut-être bon.
L'autre phénomène constaté dans les villes de Kabylie, c'est ce moment de détresse dont profitent certains commerçants sans vergogne pour s'en mettre plein les poches, allant jusqu'à multiplier les prix des produits de large consommation par trois. Les pénuries dont l'Etat et les acteurs économiques sont entièrement responsables, ont amené des citoyens à s'entredéchirer qui pour une bougie qui pour une bonbonne de gaz. À quoi pourraient bien servir les BMS de météo- Algérie si ce n'est pour alerter les populations et permettre aux autorités de parer à l'essentiel en prenant les décisions adéquates? Pourquoi n'a-t-on-pas tiré de leçons de la tragédie de Bab El-Oued, il y a plus de 10 ans ?
Mais si les hommes souffrent, les animaux aussi. À cet titre, il convient de signaler que sous d'autres cieux, lorsqu'il gèle par exemple, les chasseurs cessent de chasser spontanément et parfois même la loi est activée pour l'interdire. Beaucoup de gens, pour permettre à la faune sauvage de survivre, vont même jusqu'à nourrir les oiseaux. Pendant ce temps, en Kabylie, certains réflexes se maintiennent. C'est le moment idéal d'aller piéger les animaux sauvages en profitant de leur état de panique et de faiblesse. Ceux qui agissent ainsi le font de façon spontanée, reproduisant machinalement un comportement social; parce que c'est une tradition d'aller chasser par mauvais temps au point d'assimiler ce geste à un acte naturel, voire normal, ce qui n'est pas le cas, bien évidemment. Même à ce niveau, les mentalités doivent évoluer. Un véritable chasseur doit mettre un point d'honneur à donner toutes ses chances à la bête avant de lui courir derrière pour la tuer.
Une fois l'orage passé, les dégâts réparés, les blessures soignées, les montagnards ne manqueront certainement pas de tirer toutes les leçons utiles, pour que pareille mésaventure n'arrive plus jamais. Tout dépendra, en fait, de ce que nous voulons. La messe n'est pas encore dite.
Abderhamane D.

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