mercredi 18 avril 2012

LE DRAME ALGERIEN DANS LA COMMUNE MIXTE CAP AOKAS

La commune mixte de l'Oued Marsa appartient à
l'arrondissement, de Bougie. Elle couvre plus de 55.000 hectares,
occupés en grande partie par des massifs forestiers, aux ravins
profonds, aux crêtes élevées et abruptes. Sa limite nord est fixée
par les rivages méditerranéens, formant l'admirable baie qui,
partant de Bougie, se dirige vers ZiamaMansouria,
et est
desservie par le beau boulevard front de mer si fréquenté par le
tourisme.
Cette voie front de mer constitue la partie terminale de la route
nationale n° 9 qui relie Sétif à Bougie, en passant par Fermatou, El
Ouricia, Amouchas, Takitount, Kerrata, les gorges du Chabet El
Akra, Souk El Tenine, Cap Aokas et Oued Marsa.
Cap Aokas est le siège de l'administration de la commune
mixte. Un bordj y réunit le personnel et les bureaux, à 10
kilomètres de Souk El Tenine, point d'intersection de la route
venant des gorges et du chemin arrivant de Djidjelli, par Cavallo et
Ziama Mansouria.
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
Pendant une semaine, les Français des fermes, des exploitations
minières et des habitations isolées en plein bled, appelés en hâte
au bordjrefuge,
eurent leur part d'émotions et de tristesses. Ils
vécurent des heures d'angoisses et de douloureuses surprises.
Fort heureusement pour la population menacée, la commune
était administrée par un chef qui sut s'entourer de collaborateurs
animés de l'esprit du devoir.
C'est dans les moments de dangers collectifs que se révèlent les
tempéraments et les caractères.
Mme Brives, née Nicolas épouse de l'Administrateur en chef,
fit preuve de courage et de dévouement en recevant les familles
des réfugiés, et nombreux sont ceux qui font l'éloge du réconfort
qu'elle apporta à tous par son accueil et son exemple.
Les journaux sont restés muets sur le drame qui, cinq jours
durant, s'est déroulé à l'est de Bougie, et au cours duquel près de
450 personnes n'ont échappé à un massacre que grâce à une
organisation qui a su donner son résultat maximum. Il y a eu des
morts à déplorer comme partout où a sévi la vague de barbarie
dans ce que l'on est convenu, d'appeler le « Constantinois ».
Plusieurs doivent à leur imprudence le sort dont ils ont été les
malheureuses victimes. Ceux qui ont répondu à temps à l'appel qui
leur était adressé par les chefs de la commune ont eu la vie sauve.
A Cap Aokas, comme ailleurs, en beaucoup d'endroits, la
démonstration a été faite que le courage français a su éviter le pire,
chaque fois qu'il a été possible aux victimes de se retourner pour
faire face à l'ennemi.
Parmi les hommes qui ont apporté à M. Brives une
collaboration utile, souvent précieuse, nous devons citer : son
adjoint, M. Hosteins, dont l'activité courageuse et l'initiative ne se
démentirent pas un instant ; un colon, M. Aubertier qui est
lieutenant de réserve et fut chargé, à ce titre, de l'organisation de la
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défense locale ; et de nombreuses personnes, civiles ou militaires
qui ont dû faire l'objet, nous n'en doutons pas, de citations
élogieuses.
L'éveil avait été donné, le 8 mai, vers 17 heures, par le passage,
à Cap Aokas, de M. Deschanel, entrepreneur de transports, dont la
voiture était suivie par un car de secours, demandé à Bougie pour
remplacer le car de service attaqué en cours de route.
A 20 heures, M. Deschanel revenait, remorquant le car
endommagé. Il donna des détails sur l'attaque qui s'était produite
aux Amouchas, et les rumeurs qui couraient sur les événements de
Sétif. Un voyageur, descendu à Cap Aokas, confirma le récit.
Le 9 mai, de bon matin, on prenait des dispositions de défense.
On prévenait les Français des fermes environnantes, en leur
conseillant de se replier à la moindre alerte. Le bordj était mis en
état de défense et d'approvisionnements. Ce bordj est composé de
plusieurs immeubles. C'est un groupement de constructions
désigné sous le nom général de Cité Administrative d'Aokas.
Un détachement militaire passe. Il se dirige sur Souk El Tenine,
embranchement de la route de Kerrata. Une reconnaissance de
gendarmerie va prospecter les gorges de l'oued Agrioun. Elle
constate que le pont qui enjambe le gouffre, à 4 kilomètres de
Kerrata, est fortement occupé par les rebelles. M. Brives est de
l'expédition.
A 11 heures, deux cars, transportant deux sections de tirailleurs,
s'avancent dans les gorges. Ils rencontrent un barrage. Il y a un
arrêt forcé. On échange des coups de feu. Par les crêtes escarpées,
les rebelles encerclent le détachement qui, vers 14 heures, se
dégage difficilement et revient à Souk El Tenine, occupé par des
gendarmes.
A 16 heures, la population française de la commune mixte est
réunie au bordj administratif d'Aokas. Des armes et des munitions
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
sont distribuées aux hommes. Des groupes sont formés pour
assurer un service de patrouilles.
On déplore l'absence de plusieurs personnes. La nuit, consacrée
à l'organisation de la défense, est assez calme.
Le 10 mai, on apprend que des concentrations d'émeutiers ont
lieu à peu de distance. On évalue leur effectif à un millier de
personnes environ.
On conserve la communication sur Souk El Tenine. A 9 heures,
des coups de feu y ont été tirés sur la troupe.
De Mansouria, M. Clanet, adjoint spécial, a annoncé, la veille,
qu'ayant obtenu des armes de guerre, il assurait la sécurité du
centre par des patrouilles.
C'est le 10 mai que deux compagnies, avec les capitaines
Arbola et Guarzulino, se portent au secours de Kerrata, en partant
de Souk El Tenine. Il va falloir percer le passage des gorges, et il
faut s'attendre à des résistances. On est décidé. On échange des
coups de feu. Tout à coup, on voit arriver un détachement de la
Légion Étrangère. On a donc fait la jonction. Kerrata est délivrée,
après un drame horrible, nous l'avons raconté.
On liquide les dernières résistances des rebelles dans les
gorges. Un légionnaire est blessé mortellement... Vers 15 h. 30, on
entend des coups de feu tirés à deux kilomètres de Souk El Tenine.
Dans la soirée, Cap Aokas semble encerclé.
Des patrouilles partent en reconnaissance. Elles reçoivent des
coups de feu et se replient. L'une dirigée, par M. Hosteins,
constate que les routes sont coupées, que des fils téléphoniques,
sectionnés, traînent à terre. Le bruit court que 2.000 émeutiers
s'apprêtent à attaquer Cap Aokas. Le village est évacué par tous les
français. Des groupes militaires arrivent pour participer à la
défense. La cité administrative abrite 412 civils dont 71 enfants,
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sous la direction de Mme Brives, qui trouve à chacun sa place et
dont le mari seconde la défense de Souk El Tenine ; on répartit les
salles de la maison commune et des appartements aux réfugiés. On
campe au mieux. Les enfants sont particulièrement entourés. Le
ravitaillement a été assuré par les fermes des environs, au moment
de leur évacuation, à titre bénévole, et aussi par des réquisitions
opérées partout où la chose a été possible.
En l'absence de son chef, M. Hosteins, Administrateur en
second, a organisé des patrouilles auxquelles il participe avec une
activité remarquable. M. Chambon, chef du secrétariat, a été
délégué au téléphone qui ne tarde pas à être coupé.
Le 10 au matin, le souspréfet
de Bougie, M. Byr, a réussi à
arriver à Souk El Tenine. Il revient à Bougie après s'être rendu
compte de la situation. Il passe à 11 heures à Cap Aokas. Arrivent,
en même temps que lui, M. Brives et les Français évacués de Souk
El Tenine.
Après son départ de Cap Aokas, où il ne fait que s'arrêter,
survient, vers midi, un détachement de 13 fusiliers marins. Le
camion qui les transporte aide les gendarmes restant à Souk El
Tenine à rejoindre le centre de la commune mixte.
Journée chargée, grosse d'inquiétude. La situation est vraiment
grave. Le téléphone ne fonctionne plus. On a dû couper la ligne.
Du bordj, on a envoyé des indigènes dévoués porter vers
Bougie des rapports indiquant l'accroissement du danger. Mais les
émissaires pourrontils
passer ? Ne jugerontils
pas prudent de ne
pas accomplir leur mission et de s'arrêter en route ?
Un modeste infirmier, âgé de 35 ans, nommé Salhi Saïd, se
présente aux chefs de la défense. Il expose que si les chemins sont
coupés, il en reste un, accessible, celui de la mer. Il offre de
franchir, à la rame, sur une barque légère, les vingtcinq
kilomètres
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
qui séparent Cap Aokas de Bougie ; le succès d'une pareille
entreprise est douteux. Mais le danger est pressant. On accepte,
Salhi Saïd affronte l'obstacle.
La nuit approche. Les heures passent, rapides, dans une action
intensive de défense collective.
On signale bientôt l'attaque d'un camion. M. Hosteins part en
reconnaissance, avec cinq hommes, constate que la route de
Bougie est barrée près d'une ferme indigène, par un gros
eucalyptus ; que les fils téléphoniques sont sectionnés au même
endroit. L'Administrateur rentre à 19 heures au bordj, avec un
couple qui a été arrêté par les émeutiers, puis relâché : une femme
française mariée à un indigène et leur enfant. Le mari a excipé de
sa qualité de musulman, on lui a rendu la liberté...
Le lieutenant Aubertier, qui patrouille à l'extérieur, est rappelé.
On fait replier tous les Européens occupant encore les fermes,
ainsi que les personnes logeant à l'hôtel du Cap, situé en dehors de
l'agglomération.
On constate des résistances :
M. Aubertier Henri, conseiller municipal, refuse d'abandonner
sa ferme. Il se fait fort d'organiser sa défense avec son personnel.
On saura, plus tard, qu'il n'a pas été inquiété. Les émeutiers ont
sans doute pensé qu'il s'était replié au bordj. Ou la crânerie dont il
a fait preuve leur en atelle
imposé ?
M. et Mme Piras, restaurateurs, veulent également rester chez
eux. Ils habitent la petite agglomération des falaises, à environ 7
kilomètres de Souk El Tonine, en direction de Mansouria. Dans la
nuit du 10 au 11 mai, ils ont été attaqués. M. Piras a été tué. Sa
femme a été blessée à la fesse droite par deux coups de feu. Elle
s'était sauvée. Après le drame, elle a été rétablie par un séjour de
deux semaines dans une clinique. Elle est depuis, partie au Maroc.
Pendant plusieurs jours on a été inquiet à Cap Aokas, sur le sort
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du brigadier Leca, qui n'avait pas obtempéré à l'invitation de repli
qui lui avait été adressée.
Il avait rejoint Bougie par ses propres moyens.
Des falaises, n'ont pas voulu rejoindre : Mme et M. Vergnau,
Mme et M. Samson. Les grottes des falaises leur procurèrent,
heureusement, un abri qui aurait bien pu être insuffisant. On est
sans nouvelles de Mme et M. Lambert, garde forestier, qui ont été
prévenus du danger.
A 20 heures, on était très près de la chute du jour, on entend des
avions. On leur fait du bordj, des signaux. Les grands oiseaux
circulent et mitraillent, dans les environs, les attroupements qu'ils
peuvent apercevoir. Cela décongestionne les maisons assiégées.
Puis on perçoit une canonnade. C'est un aviso qui dégage, par
un tir précis, le village et le réduit défensif.
C'est là, sans aucun doute, le résultat de la tentative du brave
infirmier, dont on n'a pas de nouvelles.
La nuit arrive. On est plus rassuré. Mais les patrouilles
circulent, dans l'obscurité. Il faut éviter une surprise. On se rend
compte que les assaillants ont reculé. Ils sont maintenant à 7 ou
800 mètres du bordj. On entend quelques coups de feu.
Le bureau de poste a été évacué. A minuit les émeutiers se
rapprochent ; on en voit à 50 mètres des murs du réduit défensif.
On se prépare à toute éventualité.
Le reste de la nuit est calme. On ne peut plus causer, au
téléphone, avec Mansouria.
La journée du 11 mai est consacrée à de nombreuses
patrouilles, dirigées par M. Hosteins. On éloigne les rebelles. On
rétablit des liaisons téléphoniques grâce à des monteurs des P.T.T.
qui ont dû abandonner leur camionnette sur la route. Un car a
également été laissé en hâte par 30 fusiliersmarins,
arrivés la
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
On recueille un marin qui a pu échapper en simulant la mort. Il
est nu. On lui a enlevé ses effets d'habillement. On trouve, dans le
car brûlé, un cadavre carbonisé : le deuxième soldat disparu...
On échange des coups de feu avec des petits groupes de
rebelles. Des tirs efficaces sont exécutés par la marine. On signale
des morts chez les insurgés.
Au large, s'avance le « Chasseur 94 ». Il ne peut aborder. Mais
un homme saute à la mer et, à la nage, apporte un message du
souspréfet,
c'est le courageux Salhi, tout ému et justement fier de
son exploit.
Il est accueilli en ami. On prépare la réponse. Le lieutenant
Aubertier et Salhi Saïd vont la porter au bateau assurant la liaison.
Mais, à michemin,
la barque chavire ! Elle coule ! Ses passagers
seuls surnagent. Salhi se dirige vers le navire et remet la lettre qui
indique les points à bombarder pour atteindre les rebelles. Les tirs
qui suivent sont bientôt d'une précision remarquable (1).
Mais dès le matin, on reçoit de tristes nouvelles, la
confirmation de la mort de l'hôtelier Piras : puis celle de
l'assassinat de Mme et M. Lambert, qui ont voulu rester à leur
maison forestière de Tamsout. On sait également, vers 19 heures,
que la population de Mansouria s'est réfugiée dans l'île qui fait
face au groupement des habitations.
Un fait curieux, dans le duel tragique qui met aux prises les
deux camps ennemis, c'est la transmission rapide du récit des
événements intéressant chaque parti. Il y a des agents de liaison
bénévoles qui fréquentent et renseignent les belligérants : la
poignée de Français qui se défend avec énergie, d'une part, et la
(1) Le 15 août 1947, les journaux ont publié timidement en une locale : " Oued Marsa " que " la
médaille d'argent, de courage et de dévouement, vient d'être conférée à l'infirmier de l'hôpital
auxiliaire, M. Salhi Saïd ". Le communiqué officiel n'a pas osé dire la belle action accomplie par le
vaillant indigène, récompensé modestement... plus de deux ans après.
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foule de milliers d'émeutiers qui se rue à l'assaut du bordj encerclé,
d'autre part. Transmettre c'est savoir, et savoir, c'est être en
intelligence avec l'ennemi. Notre logique de roumis est imbattable
sur ce point. Or, du côté français, on enregistre les nouvelles
exactes qui arrivent ; on ne s'émeut pas des complicités qu'elles
dénoncent. On connaît la solidarité qui unit les musulmans pardessus
toutes les barrières et toutes les barricades. L'habitat
africain a créé, chez les Français, une philosophie que ne
déconcerte aucune constatation. Aton,
du reste, le temps de se
livrer à des appréciations ? On se bat. On ne pense qu'à cela,...
Les communications téléphoniques rétablies par M. Hosteins et
les dévoués collaborateurs des P.T.T. sont bientôt coupées à
nouveau. Et l'on n'a plus de fil pour assurer les réparations.
L'isolement s'affirme de plus en plus. Les patrouilles continuent à
accomplir leur tâche de reconnaissance et de refoulement partiel
des agresseurs.
On apprend, à 20 heures, que deux officiers américains ont été
rencontrés sur la route, où ils circulaient librement, dans une
voiture « américaine » venant, disaientils,
de SoukAhras.
Ils
avaient donc traversé, de bout en bout, toutes les régions
insurgées (1)...
Quelques coups de feu, dans la nuit. L'aube arrive. Le bordj n'a
pas été attaqué.
Dans la journée, on avait vu, avec étonnement, arriver sur la
route, en tournée d'inspection, le colonel Bourdila, de Sétif. Il
avait, dans son auto, son chauffeur et deux hommes armés. Pointe
audacieuse que ce chef, continuant la tradition africaine, trouvait
très naturelle...
(1) Ce sont sans doute les officiers anglais rencontrés à Kerrata aussitôt après la libération
du village. Cette circulation d'officiers alliés dans les régions sinistrées n'a pas manqué de donner
lieu à de nombreux commentaires.veille au soir. Il manque deux camarades. On part à leur recherche.
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
Le 12 mai au matin, une patrouille dirigée par MM. Lagaly et
Aubertier, capitaine et lieutenant de réserve, va recueillir les restes
du fusilier marin Hamond, trouvés dans le car.
M. Hosteins et le lieutenant Ottaviani essaient vainement
d'atteindre les corps de Mme Lambert et de son mari, garde
forestier. Ils rentrent à 19 heures, n'ayant pu remplir leur mission.
A 15 h. 30, le corps de M. Piras est inhumé dans la plaine, près
d'Aokas. Une cérémonie touchante a lieu à cette occasion.
A 18 heures, un incident attriste la colonie : le conducteur
européen de la camionnette des P.T.T., donne des signes de
dérangement cérébral. Il se sauve dans la campagne.
A 23 heures, M. Saurel, receveur des P.T.T. semble également
atteint mentalement. On le maîtrise et on le soigne a l'hôpital.
La nuit se termine sans autres incidents. Les deux derniers sont
significatifs de l'ébranlement nerveux provoqué chez certains par
les événements qui se déroulent avec rapidité et dont le récit ne
peut donner qu'une idée superficielle.
Disons tout de suite que le receveur des P.T.T. a repris
rapidement son équilibre et que le chauffeur européen a été
retrouvé, vingtquatre
heures après sa fugue, à proximité de
l'agglomération d'Aokas. Il était sain et sauf, heureusement, et
avait été simplement un peu désaxé par l'ambiance et une extrême
fatigue.
L'aube du 13 mai fait entrer les assiégés dans le cinquième jour
de leur résistance.
Les patrouilles ont permis des visites rapides aux fermes les
plus proches, afin de renouveler les provisions de bouche
nécessaires aux 400 personnes dont il fallait assurer la subsistance.
De ce côté, grâce aux détachements envoyés en reconnaissance, les
assiégés n'ont pas eu trop à souffrir.
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Le 13 mai, jour dominical, l'activité des défenseurs continue à
s'exercer. Dès le matin, M. Hosteins. accompagné d'un groupe de
fusiliers marins, avec leur chef M. Schneider, arrive à joindre les
cadavres de Mme et M. Lambert, qui sont inhumés sur place. Une
enquête est commencée ( 1 ).
A 10 heures, à Aokas, le père Moussion, des Pères blancs, dit
une messe en plein air, devant le catafalque contenant les restes du
fusilier Hamond.
Dans la soirée, on constate que les émeutiers se dispersent. Les
colons peuvent aller visiter leurs fermes, mais reviennent au bordj,
pour passer la nuit, qui est calme.
Le lundi matin, 14 mai, nouvelles visites des maisons isolées et
des fermes.
Le 16 mai, tous les Français réintègrent leurs domiciles. Aokas
est sauvé...
Les dévouements ont été nombreux. Civils et militaires ont
rivalisé de zèle. On n'ose citer des noms, de peur de commettre des
omissions, c'estàdire
des injustices.
La commune mixte d'Oued Mars a donné un bel exemple
d'union française et de courage collectif en présence du grave
danger dont elle a été menacée, cinq jours durant.
L'attaque dont le bordj administratif a été l'objet s'est
poursuivie avec ténacité pendant quatre jours. Il a fallu le cran des
défenseurs, leur activité de jour et de nuit, pour que, secondés par
les secours envoyés de Bougie et d'ailleurs, grâce à l'Armée qui est
(1) Notons ici que le 22 décembre 1945, le Tribunal militaire de Constantine a prononcé cinq
condamnations à mort : Hamani Mohamed, Hamani Aïssa, Khamli Mohand, Amraoui Ali et
Allouache Mohand. Les exécutions n'ont pas eu lieu, nous affirmeton.
Soixantecinq
inculpés ont
comparu — parmi lesquels, avec les assassins de Mme et M. Lambert, se trouvaient les agresseurs
du car Deschanel.— Cinquantesix
émeutiers se sont vus infliger des peines variant des travaux
forcés à perpétuité à un an de prison avec sursis. Quatre ont été acquittés.
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intervenue avec rapidité et énergie, grâce à la Marine et à l'activité
de M. Byr, souspréfet,
ils aient pu échapper à un massacre
général.
Cap Aokas a été le dernier et définitif barrage opposé au flot
des agresseurs, qui composaient — quelques rares unités mises à
part, et que nous sommes heureux de signaler — l'unanimité de la
population indigène surexcitée par l'action des Oulémas, du P.P.A.
et des « Amis du Manifeste », de Sétif à Bougie en passant par
Kerrata.
La durée du conflit, qui a mis aux prises les Kabyles de l'est de
Bougie et les quelques Français isolés parmi eux, donne la note de
l'acharnement des agresseurs et du danger des formules optimistes
par lesquelles on essaie de tromper l'opinion publique dans la
Métropole.
* * *
Ainsi que nous l'avons vu, le petit centre de ZiamaMansouria
a
eu sa part de danger et d'inquiétudes. On peut dire que c'est grâce à
la belle attitude et aux initiatives heureuses de son Adjoint spécial,
M. Clanet, que sa population française est sortie indemne de
l'épreuve.
M. Clanet et la brigade de gendarmerie ont été prévenus, le
mardi 8 mai, à 23 heures, que de graves événements se préparaient
dans la région de Kerrata.
Le mercredi 9 mai, au matin, M. Clanet s'est rendu à Aokas et
est revenu avec 20 fusils et 1.420 cartouches. Ces armes ont été
distribuées par lui dans l'aprèsmidi
et un service de surveillance
organisé. M. Clanet a convoqué des notables indigènes, les a mis
au courant de la situation et leur a demandé d'assurer l'ordre dans
le village. Ils ont accepté. Des patrouilles, armées de fusils, ont fait
des rondes toute la nuit.
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Vers 23 heures, la patrouille, composée de MM Delgado et
Gabrielli et du garde champêtre Moussaceb, a mis en fuite une
dizaine d'individus qui étaient cachés dans une excavation, à
proximité du pont de l'oued Kemhoum (près du cimetière, à un
kilomètre du village). Toute la nuit, M. Clanet et un gendarme sont
restés au téléphone, prêts à faire face à toute éventualité.
Le jeudi 10 mai, les communications téléphoniques ayant été
coupées sur deux circuits, avec Bougie, une surveillance plus
étroite, de jour et de nuit, a dû être organisée.
Le vendredi 11 mai, M. Clanet téléphone, par Djidjelli, à la
Préfecture pour avoir du renfort, car on vient d'apprendre que des
bandes armées se rapprochent et qu'aux Falaises, M. Piras a été tué
et sa femme grièvement blessée.
Les femmes et les enfants de Mansouria sont rassemblés dans
la maison cantonnière. Une chenillette, partie de Mansouria vers 8
heures, montée par deux Européens armés, est arrêtée sur la route
du col de Bettacha. Les deux hommes sont désarmés, l'un de son
mousqueton, l'autre d'un revolver, et il leur est signifié d'avoir à
abandonner la chenillette. Ils ont cependant pu rentrer avec le
véhicule, grâce à la mésentente provoquée entre les dissidents,
certains voulant les tuer, alors que d'autres s'y opposaient.
Le danger devenant plus sérieux et les rebelles se rapprochant
du centre, le village étant cerné, M. Clanet téléphone à nouveau à
la Préfecture pour signaler la situation et demander des secours
immédiats. Au début de l'aprèsmidi
on décide d'évacuer le village
et la population se transporte sur l'île qui fait face à
l'agglomération. Vers 16 h. 30, un gardecôte
arrive, M. Clanet
monte à bord et le commandant, sur ses indications, fait tirer
plusieurs bordées dans la direction de la fraction Tizrarane (à l'est
de Mansouria).
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
Plus tard, vers 19 heures, un croiseur, le Triomphant, stoppe au
large de l'île. M. Clanet le rejoint et monte à bord accompagné, du
gendarme Nicolau. L'adjoint spécial obtient 3 fusils mitrailleurs
et 4.500 cartouches, des pansements et 20 boîtes de lait condensé
pour les enfants.
Le navire tire plusieurs bordées sur des points indiqués.
MM. Clanet et Nicolau regagnent l'île à la nuit. Vers 23 heures,
des troupes arrivent au village, et la matinée du 12 mai est
consacrée à la rentrée des habitants dans leurs demeures.
Le 13 mai des opérations de police ont lieu dans les environs.
Vers 17 heures, le souspréfet
de Bougie, M. Byr, arrive, par mer, à
Mansouria et se rend compte de la situation. Il est accompagné par
le commandant de la marine à Bougie.
La marine a joué le rôle principal, par son intervention décisive
à Mansouria On a estimé le nombre des rebelles à 6 ou 700. Grâce
aux mesures prises à temps — mais juste à temps —par l'adjoint
spécial du centre et la gendarmerie, aucune victime n'a été
enregistrée. Le danger couru par les Français de Mansouria n'en a
pas moins été grand.
***
Ce récit ne serait pas complet si nous ne consacrions une page
au couvent des Pères blancs, qui est installé, depuis de nombreuses
années, à la sortie des gorges de Kerrata, du côté de Souk El
Tenine.
Ces Pères blancs ont rendu de nombreux services aux indigènes
de la région. Nombreux sont ceux qui ont été élevés par eux.
Quatre religieux ont été surpris par les événements. Ils n'ont pu
se replier. Sans doute n'y ontils
pas songé. Et constatation
réconfortante, qui n'a malheureusement pas été faite partout, ils
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ont trouvé des défenseurs parmi ceux qu'ils avaient guidés dans la
vie. Trente indigènes, armés, se sont institués leurs gardes du corps
et leur ont déclaré qu'ils se feraient plutôt tuer que de laisser passer
les émeutiers. Le chef de ces défenseurs a pour nom : Rahmouni ;
ses camarades et lui ont montré que la reconnaissance n'est pas un
vain mot, même au contact des propagandes les plus entraînantes.
La violence de l'attaque dont la région de Cap AokasKerrataMansouria
a été l'objet, la durée de la résistance des émeutiers, les
difficultés que présentaient pour les communications le relief
tourmenté des massifs montagneux où se réfugiaient les rebelles,
ont obligé les chefs de notre armée à prendre des mesures
énergiques, à envisager des opérations d'envergure qui rappelaient
les périodes les plus dures de la conquête de l'Algérie.
Disons à l'éloge de ces chefs et de nos soldats que l'affaire fut
menée avec toute la précision et la célérité désirables.
Le 22 mai 1945 fut pour la région d'Oued Marsa une journée
historique. Une cérémonie imposante a eu lieu sur les lieux mêmes
de la révolte, consacrée à la reddition de toutes les tribus mêlées
au drame qui avait eu lieu quinze jours auparavant. Cérémonie
militaire, cérémonie d'autorité, présidée par le général Henry
Martin, commandant le 19e Corps d'Armée, ayant à ses côtés MM.
LestradeCarbonnel,
préfet de Constantine, le général Duval,
commandant la Division, le général Weiss, commandant
l'Aviation. L'amiral Amanrich, commandant la Marine. Le général
Moragla de l'aviation, MM Byr et Butterlin, souspréfets
de
Bougie et de Sétif, M. Galle, délégué financier, M. Bordj, maire de
Bougie, de nombreuses notabilités militaires et civiles.
15.000 dissidents avaient été convoqués pour confirmer la
demande « d'aman » qu'ils avaient, de guerre lasse, adressée aux
représentants de la France M. Brives, Administrateur principal,
son adjoint, M. Hosteins, tous ceux qui avaient su faire leur devoir
au cours des journées tragiques, furent à l'honneur.
Le colonel Bourdila, après avoir résumé les opérations
militaires ayant permis d'avoir raison des émeutiers, dicta aux
fauteurs de troubles repentis les conditions exigées pour leur
entière soumission.
Le général Henry Martin, en termes élevés, dit les paroles
fortes qui convenaient, du haut d'une tribune rustique, au pied de
laquelle étaient rangés 16 caïds aux burnous écarlates brodés d'or.
Le Préfet du département, au nom du Gouvernement de la
République, précisa le programme qui doit assurer, dans l'ordre et
la paix, la mission civilisatrice de la France en Afrique du Nord.
De longs et émouvants compte rendus de cette manifestation
ont été donnés par les journaux du département, en particulier par
la Dépêche de Constantine et par l'Echo de Bougie, sous la plume
de notre ami M. Charles Dubar.
Soulignons avec plaisir la solennité de l'acte accompli. Quant
aux voeux qui ont été émis, laissons au temps le soin de les
réaliser.
Constatons qu'un gros travail de soudure reste encore
à assurer. Il sera long. Il sera voué à un échec si l'on continue à
appliquer la politique d'abandon et de défaillance condamnée par
tous les Français d'Algérie.
L'exemple, désormais historique, des scènes d'horreur
auxquelles nous venons d'assister en Afrique du Nord est une
réplique dure et sans appel pour ceux qui poursuivent l'illusion
d'une fusion possible en dehors des principes de justice et
d'autorité. Nous le disons une fois de plus, avec une tristesse
profonde, aux professeurs de chimères qui, retardant les solutions
pratiques les plus urgentes, ne font que précipiter de nouvelles
catastrophes.

4 commentaires:

  1. Ce récit est incomplet voir tronqué. La liste des condamnés est exécutés ne cite pas Abdelli d'Aokas MErabti Ali, Merabti Saïd un militaire revenu libéré de Berlin et de Merouani de Souk el tenine, on ne parle pas de Slimane Bouchoucha qui fut l'hommes qui choisit des hommes à exécuter à Aokas.Selon mon grand père lui m^me emprisonné et ses biens brûlés.

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  2. Tous les habitants de Tababort, après avoir vécus les affres de la terre brûlée et avoir tout perdu, ils furent déplacés et regroupés sur les rivages de la méditerranée bords de mer de Melbou à l'actuelle plage de Souk el Tenine pour subir le défilé des troupes sénégalaises, de la legion étrangère qui ont défilés avec le fameux bêlier à grandes cornes peint couleur Or, et bâteaux de guerre au large symbole de la force française colonialiste. Bien des familles ont eu la vie sauf grâce aux faux noms déclarés par le caïd Abd allah Touati. Quant au garde champêtre Bouteba, originaire d'Aït Jabroun, son comportement et son rôle furent douteux..... Moi-m^me, ma mère enceinte, m'a mise au monde sur la plage entre le rivage et l'actuelle route nationale 9. A noter que la route nationale d'autrefois, elle empreintait le flanc de la montagne de la corniche Tadrart d'Aokas, centre d'aokas, sidi réhane, Tibhirinne, tiainsrine,lota, ferme de quatrevaux et souk el tenine. J'ai eu la chance d'être issu d'une famille trés connue pour son nationalisme et son attachement aux terres ancestrales indiscutable depuis les turcs jusqu'a 1962. Bien des gens des familles de Souk el tenine et ses environs dont je tairais les noms, ne son pas originaires de la petite kabylie, ni de la daïra actuelle. Elles ont possédé des terres par la force,les magouilles, corruption et pôts de vin en chevilles avec les caïds, le hakem,le kheznaji représantants du colonialisme. Nul n'emportera son malacquit avec soi dans sa tombe.... Il n empêche que l'Histoire bêgaie, se répète; Hélas!!

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  3. moi aussi je pense que ce récit est incomplet, et je sais de quoi je parle, Monsieur l'anonyme vous avez l'air de connaitre des choses, ne les laissez pas dans l'oubli, rédigez, publiez et faites connaitre ce que vous savez! chapeau bas!

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  4. les références du texte svp, et puis pourquoi vs ne dites pas que dans ce borj il y 'a eu des massacres pendant ces evenements du 8 mai 1945?

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