SPECIAL ALGERIE 50 ANS APRES
Le 19 mars 1962 entrait en vigueur le cessez-le-feu conclu à Evian entre la France et le FLN. Quarante ans déjà… Mais la guerre d’Algérie est-elle vraiment finie ? Pas pour les anciens soldats français, que les cauchemars, les souvenirs atroces, les questions sans réponse continuent de tourmenter. Pas pour les pieds-noirs, qui portent encore le deuil du pays perdu. Pas pour les harkis, que la France a abandonnés ; pas pour ceux qui ont réussi à gagner la métropole et n’y ont trouvé qu’un exil à perpétuité. Pas pour la France, qui avait choisi d’oublier les crimes commis en son nom, et qui voit resurgir aujourd’hui les fantômes du passé. Et certainement pas pour l’Algérie, qui a préféré mythifier son histoire plutôt que de l’écrire dans sa complexité. Oubliant que le combat pour l’indépendance fut aussi fait d’affrontements internes et de purges sanglantes, dont l’écho ne s’est pas tout à fait dissipé. Quarante ans après, il est temps de regarder l’histoire en face. Toute l’histoire. Sans peurs ni tabous. Avec les historiens Mohammed Harbi et Benjamin Stora, et le sociologue Edgar Morin, grâce aux témoignages d’anciens appelés français, de harkis, de combattants algériens, de victimes de viols et de torture, Jean-Paul Mari explore les trous noirs de cette guerre de sept ans dont nous ne sommes toujours pas guéris
Dans la rubrique "Dossier" : 1. Le vrai bilan des pertes 2. Viols : un si long silence La bataille des archives 3. Harkis : la descente aux enfers Sous le drapeau français 4. Comment la bleuite a empoisonné le FLN 5. FLN contre MNA : la guerre dans la guerre 6. Les disparus d’Oran 7. Eté 62 : et l’armée s’empara du pouvoir... Pour en savoir plus
1. LE VRAI BILAN DES PERTES
Après les combats sur le terrain, il y a eu la bataille des chiffres. Combien de morts du côté algérien ? 1,5 million, a dit le FLN.250 000, disent les historiens
« Un million de morts... » Ce nombre de martyrs algériens est lancé dès le 15 octobre 1959 par « El Moudjahid », l’organe du FLN. En 1963, la Constitution algérienne parle déjà de « plus d’un million et demi », un chiffre lancé par le Conseil supérieur islamique d’Alger en 1968 et repris par le président Boumediene : depuis, l’Algérie est devenue « le pays d’un million et demi de martyrs ». Aujourd’hui, on sait que ce chiffre mythique ne repose sur aucune étude. Côté français, les chiffres officiels sont donnés de façon parcellaire et disparate, comme il convient pour ce qui a été si longtemps qualifié pudiquement d’« événements d’Algérie ». On le sait : le bilan des victimes d’une guerre est toujours difficile à établir. Quand il s’agit d’une guerre de décolonisation aussi extraordinairement douloureuse, parfois fratricide et toujours passionnelle, que la guerre de sept ans en Algérie, la parole est d’abord à la propagande, au salut à la mémoire des partisans. Et malheur à qui conteste le discours proclamé ! Au mieux, on se tait ; au pis, on truque. Et chacun vieillit appuyé sur la canne historique qui lui convient le mieux. Pourtant les chiffres existent. Il suffit de s’y pencher avec une rigueur scientifique comme l’a fait, dès 1967, André Prenant, un universitaire installé en Algérie, favorable au FLN mais dont les travaux sur la démographie ont été passés sous silence (1). Ou le professeur Xavier Yacono, qui publie en 1982 la première étude sérieuse sur les pertes en Algérie (2). Ou enfin le travail incontesté de l’historien Charles-Robert Ageron, qui vit aujourd’hui retiré dans un appartement en banlieue parisienne (3). Le vieux professeur – barbe taillée, costume gris et mémoire intacte – a consacré toute une vie à l’Algérie et sourit poliment devant la démesure de la polémique. Les vrais chiffres ? Ceux des pertes algériennes militaires et civiles, des pertes françaises militaires et civiles ? Et celui de l’ensemble du conflit ? Des chiffres occultés, ignorés, détournés, mais qui existent, inscrits dans des publications scientifiques et connus des universitaires. Il suffit de les recueillir. Les voici. Les plus faciles à établir sont ceux des pertes de l’armée française. 1,3 million de soldats – et non pas 3 millions – ont été envoyés en Algérie. En novembre 1968, le ministre des Armées indiquait que 15583 d’entre eux avaient été tués au combat ou du fait des attentats. A cela il faut ajouter 1144 hommes décédés de maladie, et le chiffre – ahurissant – de 7917 soldats morts accidentellement, en manipulant des armes à feu ou au volant d’une Jeep, d’un GMC lancés trop vite sur les routes d’Algérie. Le total des pertes françaises militaires approche donc les 25000 hommes. Les civils français dits « européens » – avant de devenir des « pieds-noirs » – ont été eux aussi durement touchés par les combats, les assassinats, les attentats dans un bar, un cinéma ou sur le trottoir de leur maison. Chacune de ces morts – dont le souvenir sera amplifié par l’exode massif de toute la population européenne, par les « disparitions » du printemps 1962, par l’abandon de la maison familiale, du village, de l’école et du cimetière, par le sentiment de la défaite et du « lâchage » de la France métropolitaine – va s’inscrire tragiquement dans le deuil collectif de l’imaginaire pied-noir. Le nombre des victimes apparaît forcément énorme à l’échelle d’une population d’un million d’âmes. Aujourd’hui encore, beaucoup de pieds-noirs sont convaincus que le massacre d’Oran a fait près de 5000 morts (voir p. 30). La réalité tient davantage dans les bilans successifs fournis par le secrétaire d’Etat aux Affaires algériennes, d’abord le 19 mars 1962, puis en mars 1963, en novembre de la même année et enfin le 24 novembre 1964. Chacun de ces bilans est modifié pour tenir compte du problème des disparus, dont certains sont libérés ou retrouvés assassinés. Au printemps qui précède l’indépendance, on compte 2788 tués, 7541 blessés et 875 disparus. Deux ans plus tard, sur les 3018 portés disparus, 1245 auront été libérés et la mort de 1165 sera établie ; 1773 ne reviendront jamais. En dix ans, de 1954 à 1964, le nombre total de civils français tués, dits « européens » ou « pieds-noirs », s’établit donc entre 4000 et 4500 morts. Les Algériens ont eux aussi enquêté sur le nombre de leurs combattants morts. Il fallait bien établir une liste alphabétique précise qui permette de verser une pension aux familles endeuillées. En juillet 1974, cette liste révèle que 152863 militaires et civils sont morts au combat, sur des effectifs de 336748 moudjahidine, c’est-à-dire tous ceux, civils ou militaires, qui ont pris le parti de se battre. Le ministère algérien précise même que 53,9% des maquisards ont été tués et 39,8% des civils, soit une moyenne de 45,3%. Conclusion : 153000 moudjahidine, soit près d’un sur deux, sont morts au combat. Les pertes de l’ALN-FLN ont été terribles au sein des maquis de l’intérieur qui ont affronté pendant sept ans l’armée française. Sans oublier les combats fratricides entre MNA-FLN (voir « l’Affaire Bellounis » par Edgar Morin, p. 26) et les purges internes (voir « Comment la "bleuite" a empoisonné le FLN », p.24) qui ont causé la mort de 12000 moudjahidine et ensanglanté une résistance intérieure quasiment à bout de souffle au jour de l’indépendance (voir l’entretien avec Mohammed Harbi, p. 34). Une universitaire de Toulouse a essayé de recenser le tribut payé par les chahidate – femmes martyres – tombées les armes à la main. Sur 1735 femmes-soldats, 314 seront tuées au combat. Et chez les femmes civiles combattantes, 948 mourront sur un effectif total de 10949. Ce chiffre, relativement faible, s’explique par la méfiance des moudjahidine, qui refusaient parfois la présence des femmes, par machisme ou par peur des infiltrations et de la promiscuité sexuelle interdite au maquis. Au sein même de l’armée française, il faut rappeler qu’il y avait 16% de soldats musulmans – 66000 hommes en 1961 –, dont près des deux tiers étaient des appelés. Les services du ministère des Armées évaluent à 3500 – dont 1168 supplétifs – le nombre de ceux qui ont été tués dans les combats contre l’ALN (Armée de Libération nationale) ; un millier d’autres ont été victimes d’accident ou de maladie : soit 4500 soldats musulmans morts pour la France et plus de 600 disparus. D’autres ont préféré déserter, notamment au printemps 1962, peu avant l’indépendance, et leur chiffre total atteindrait près de 15000 hommes. Côté moudjahidine, plus de 6000 combattants de l’ALN se seraient ralliés « avec ou sans armes » à l’armée française. Une des questions, sans doute la plus polémique, porte sur le nombre exact des supplétifs armés – harkis, moghaznis, GMPR devenus GMS ou « assès » (voir le témoignage de l’ancien harki Saïd Ferdi, p. 20) – qui ont été désarmés, abandonnés et massacrés après le 19 mars 1962. Aucun chiffre fiable n’est disponible. On sait que les effectifs des harkis étaient au maximum, en décembre 1961, de 66000 hommes. Certains auteurs parlent de 160000 inscrits durant la guerre. Fin 1962, 20000 supplétifs ont été accueillis dans les camps d’hébergement militaires en France et 3200 se sont engagés dans l’armée française. A la fin du mois de novembre 1963, le ministre des Rapatriés indique que 42000 Français musulmans – qui ne sont pas tous harkis – ont transité dans les centres d’accueil. Et en Algérie ? Les évaluations concernant les harkis exécutés, souvent dans des conditions effroyables, varient selon les sources entre 10000 et... 150000. Les historiens comme Xavier Yacono, Benjamin Stora, Charles-Robert Ageron et d’autres ne croient pas un instant au chiffre maximal de 150000 victimes, à la fois « chiffre magique » qui équilibre le nombre d’Algériens tués par l’armée française, « chiffre incantatoire » puisqu’il répond dans la démesure au « million et demi de martyrs » de la guerre d’indépendance algérienne, et « chiffre totem » parce que son importance stigmatise l’abandon criminel des harkis par les Français aux mains d’un FLN revanchard. Le discuter, c’est s’exposer aussitôt à être accusé de vouloir réduire le « massacre » collectif des harkis à une « anecdote » d’après-guerre. Pourtant, les historiens qui se sont penchés attentivement sur le dossier s’accordent à dire que le bilan des harkis exécutés peut être évalué entre 15000 et 30000 personnes... Un chiffre déjà impressionnant ! Pourtant, au-delà du silence et de la honte qui empoisonnent ce dossier, l’étude demande encore à être précisée. Reste le problème des victimes de la population civile musulmane. En l’absence de chiffres officiels, comment décompter les hommes, femmes, enfants tués dans une mechta, ceux victimes d’opérations armées, de bombardements de l’armée française – qui distinguait mal les « rebelles » civils ou militaires –, ceux exécutés par des hommes de l’ALN ou pris entre deux feux ? On sait par exemple que la véritable guerre que se sont livrée le MNA de Messali et le FLN aurait fait en Algérie 6000 tués et 14000 blessés. Quant à l’OAS, qui s’en est pris particulièrement aux musulmans, elle aurait provoqué la mort de 2400 d’entre eux. Le 9 mars 1962, les autorités militaires françaises évaluaient, dans une note secrète, le « total général des musulmans victimes de la guerre » à 227000 morts. Pour calculer la perte totale dans la population algérienne, la « surmortalité de la guerre », les chercheurs, eux, ont utilisé une méthode classique qui consiste à comparer les divers recensements de population en analysant la pyramide des âges. En 1954, on compte 8400000 Algériens et 275000 émigrés ; ils sont 10 millions en 1962 et 12 millions en 1966. Du calcul des démographes, qui intègrent le déficit des naissances et les taux de croissance estimés, il ressort que les classes d’âge les plus touchées sont celles qui avaient entre 20 et 30 ans en 1960. Plus frappant : les pertes de la population civile musulmane, cruellement éprouvée, sont évaluées entre 50 000 et 100 000 personnes, ce qui correspond à près de la moitié des combattants algériens tués au combat. Au total, le déficit de la population algérienne se situe autour de 250000 morts. L’historien Charles-Robert Ageron fait remarquer que cela représente 2,77% de pertes sur les 9 millions d’habitants algériens. Lors de la Grande Guerre de 1914, le taux de mortalité a été à peine supérieur (3%), ce qui a suffi à couvrir le moindre petit village de France d’un monument aux morts.... 250000 morts algériens, auxquels il faut ajouter environ 30000 civils et soldats français, voilà le vrai bilan. Au-delà des polémiques sur les chiffres, l’imaginaire et le réel se rejoignent sur un point : la guerre d’Algérie a été extraordinairement meurtrière et cruelle.
Jean-Paul Mari
(1) « Premières Données sur le recensement de la population en Algérie (1966) », par André Prenant, dans « Bulletin de l’Association des Géographes français », novembre-décembre 1967. (2) « Les Pertes algériennes de 1954 à 1962 », par Xavier Yacono, dans « Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée », n°34, 1982. (3) « Les Pertes humaines de la guerre d’Algérie », par Charles-Robert Ageron, dans « la France en guerre d’Algérie », BDIC, 1992, pp.170-175.
Semaine du jeudi 28 février 2002 - n°1947 - Dossier 2. VIOLS : UN SI LONG SILENCE
« Vous pouvez violer, mais faites ça discrètement... » Dans les mechtas éloignées ou à Alger, dans les centres d’interrogatoire, les sévices sexuels étaient fréquents. Mais le poids de la honte a longtemps étouffé les témoignages
« Les morts ne font pas de mal… » Voilà ce que répond la vieille dame, ce jour de septembre 1988, à celui qui lui demande pourquoi elle vit là, dans une grotte aménagée au milieu des tombes du cimetière de Sidi Yahia, à Alger. L’homme qui pose la question s’appelle Mohammed Garne, il a 25 ans alors, et c’est la première fois qu’il voit la vieille femme, Kheïra, surnommée « la Louve ». Kheïra est sa mère. Et lui, Mohammed, est né d’un viol collectif commis par des militaires français. En 1959, Kheïra a 15 ans, elle fuit le bombardement du massif de l’Ouarsenis par les troupes du général Challe. Les militaires la découvrent recroquevillée de peur dans un arbre calciné. Ils l’emmènent au camp de regroupement de Theniet-el-Haad au sud-ouest d’Alger. Kheïra est violée à plusieurs reprises. Quand elle tombe enceinte, les gardiens du camp essaient de la faire avorter en la torturant à coups de pied, à l’eau et à l’électricité. En vain, l’enfant naît le 19 avril 1960, il est confié à une nourrice et se retrouve à l’âge d’un an à l’hôpital d’Alger, rachitique et porteur d’une fracture du crâne. Il est adopté par un couple d’intellectuels algériens qui sombrent dans l’alcool. Un jour, son père adoptif lui crie qu’il est le « fils d’une pute ! ». Et Mohammed repart pour dix ans à l’orphelinat. Plus tard, de petits délits en tentatives de suicide, Mohammed dérive jusqu’au jour où il décide de retrouver sa vraie mère. D’abord Kheïra préfère nier : « Tu es le fils d’un héros de l’indépendance. » Mais le père présumé est stérile et elle finit par craquer et se confesser. Ensuite, c’est l’histoire d’une longue bataille juridique. Au terme de laquelle la caisse des pensions finit par reconnaître – oh, du bout des lèvres – les « violences fœtales » subies par Mohammed. Et imputables à l’Etat français. Mohammed Garne, qui a aujourd’hui 41 ans, ne s’est jamais remis des coups reçus par sa mère. On lui attribue une pension de… 945 francs par mois. Peu importe ! Pour la première fois, Mohammed, enfant né d’un viol commis par des militaires français pendant la guerre d’Algérie, est reconnu comme une « victime de guerre ». Et les autres ? Tous les autres… Bien sûr, l’Algérie n’était pas la Bosnie. Le viol n’a pas été une institution ou une politique planifiée. Crime en regard du Code pénal, il est interdit dans l’armée française. Quand des viols sont signalés à l’autorité, leurs auteurs sont déférés devant la justice militaire et sanctionnés (1). Sauf que les cas signalés sont rares. Parce que cette forme de torture est quatre fois tue : par la victime musulmane humiliée, blessée, et qui a « perdu son honneur » ; par l’entourage, la famille, le village, qui considèrent l’outrage comme une honte collective ; par le soldat violeur bien sûr ; et par ses chefs. « Vous pouvez violer, mais faites ça discrètement », dit un chef de commando à ses troupes (2). Même le général Aussaresses, qui reconnaît sans ciller avoir torturé et fait exécuter des centaines de prisonniers, se défend du moindre viol – « jamais ! » –, parce qu’il sait que l’acte rend caduc tout discours sur « ces soldats qui ont accepté de se salir les mains pour sauver des enfants menacés par les terroristes poseurs de bombes ». Avec le viol, le « bourreau d’honneur » n’est plus qu’un simple salaud. Or il suffit de lire les nombreux témoignages des soldats, appelés ou engagés, qui ont raconté leur cauchemar algérien : difficile d’en trouver un où il ne soit pas question de viols. D’abord, dans les mechtas. Rachid Abdelli, un jeune harki kabyle, raconte que sa section investit un village, fait sortir et rassemble la population. Il grimpe sur un toit. Il voit une demi-douzaine de militaires, français et harkis, qui violent une fille dans une cour. La fille lève les yeux et l’aperçoit : « Elle a vu que j’avais la tête d’un enfant, j’avais 17 ans, elle m’a crié : "S’il te plaît, toi, fais quelque chose !" Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je me suis retourné et je suis parti. Que faire ? Leur dire d’arrêter ? Ils auraient rigolé ! Leur tirer dessus ? C’était mes compagnons… Le dire à l’officier ? Il fermait les yeux. Tout le monde fermait les yeux (3). » Jacques Zéo, grand baroudeur, devance l’appel en 1955 et reste en Algérie jusqu’à la fin ; il confirme la banalité du crime : « On parle de viol, mais ce n’était même plus du viol. Les gars entraient dans un village, les femmes, elles, se couchaient toutes seules tellement elles avaient la frousse, alors… les appelés comme les autres... » On pénètre dans une mechta, on entre dans les maisons, on déshabille pour une fouille au corps et, pour des appelés envoyés trente mois sans femmes au fond d’un djebel, le viol ne devient qu’une effraction de plus. Certaines unités sont particulièrement sauvages, comme le commando de chasse dénommé P16 (partisan 16), harkis dépendant des chasseurs alpins : « Ce commando, c’était les SS en Algérie, raconte toujours Zéo, pourtant endurci. Ils ont violé des gamines de 10, de 11, de 12 ans. On voyait des pères venir nous voir en pleurant : "Ils ont cassé ma fille." » Dans certains villages, le viol n’est plus un « accident », mais une pratique quasi habituelle, la plaie et la honte d’une région. Mouloud Feraoun, instituteur et écrivain, ami de Roblès et de Camus, assassiné par l’OAS en 1962, a tenu un Journal (4) en Kabylie : « A Aït-Idir, descente des militaires pendant la nuit. Le lendemain, douze femmes seulement consentent à avouer qu’elles ont été violées. A Taourirt-M., les soldats passent trois nuits comme en un bordel gratuit. Dans un village des Béni-Ouacifs, on a compté cinquante-six bâtards. Chez nous, la plupart des jolies femmes ont subi les militaires. Fatma a vu sa fille et sa bru violées devant elle. » On viole avec le consentement des gradés. Mais quand ceux-ci s’y opposent, les appelés obéissent. Tout dépend du chef, de son autorité, de sa morale. Contre-exemple : « Trois infirmières rebelles ont été faites prisonnières. Le colonel fait aussitôt déménager trois de ses officiers […] et aménager leurs chambres pour les trois captives, raconte un militaire, Jean-Yves Alquier. Pendant les cinq jours où ces filles d’une vingtaine d’années furent nos prisonnières, une garde spéciale fut montée devant leurs chambres pour éloigner les "importuns" éventuels (5). » Les djebels, les douars de Kabylie ou des Aurès ne sont pas les seuls endroits où les femmes risquent ce genre de torture. Louisette Ighilahriz est arrêtée le 28 septembre 1957 au cours d’un accrochage. Blessée de plusieurs balles, elle est transférée à la 10e division parachutiste, sur les hauteurs d’Alger, entre les mains d’un certain « Grazziani » : « Il ne pouvait pas me violer, j’étais trop dégueulasse ! En revanche, il m’enfonçait toutes sortes d’accessoires dans le vagin. » On retrouve les mêmes méthodes dans un centre dont le nom est devenu synonyme d’horreur : la célèbre « villa Susini », superbe demeure mauresque sur les hauteurs d’Alger, où un jeune appelé, Henri Pouillot, a vécu dix mois d’enfer quotidien (6). Dans les caves, quinze à vingt cagibis à claire-voie, deux mètres sur deux, contiennent chacun jusqu’à six personnes qui assistent aux tortures ou entendent les cris à côté d’eux : « Les coups n’étaient généralement que les hors-d’œuvre, venaient ensuite les brûlures de cigarette, le viol, l’électricité, l’eau. » Viols de femmes, viols mécaniques : « C’était surtout l’introduction dans l’anus de bâtons (manche à balais par exemple), de canons de pistolet, avec souvent la menace de tirer une balle... » Et aussi viols d’hommes : « Dans ce cas, ils n’étaient généralement pas pratiqués par des militaires ayant habituellement des pratiques homosexuelles, mais seulement pour humilier très profondément le supplicié. » Pour les appelés qui logent à la villa, le viol devient « le moment de distraction de très loin le plus attendu », et il arrive que des soldats d’un autre cantonnement viennent « profiter de ce défoulement ». En dix mois, Henri Pouillot comptera, horrifié, « entre une soixantaine et une centaine de femmes qui ont dû subir ces viols collectifs ». Qu’elles viennent d’un douar ou d’une famille bourgeoise, le traumatisme est énorme pour ces femmes musulmanes dont Mouloud Feraoun dit que « leur honneur était enfoui en dedans du vagin, tel un trésor plus précieux que leur vie ». Quand la mère de Louisette Ighilahriz découvre l’état de sa fille, victime de viol mécanique, elle s’effraie : « Ma fille, ils t’ont violée ! Les salauds… » « En lui disant que je n’avais pas été violée, je ne mentais pas, mais Maman a néanmoins compris le genre de sévices auxquels j’avais eu droit. "Bon, tu gardes tout pour toi, m’a-t-elle dit. Surtout, ne raconte rien à personne. Tu me promets ?" [...] Elle aurait préféré me savoir coupée en morceaux plutôt que torturée à ce point. » Alors, longtemps, très longtemps, Louisette n’a rien dit...
Jean-Paul Mari
(1) Voir l’ouvrage très fouillé de Raphaëlle Branche,« la Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie »,Gallimard. (2) « Les Egorgeurs », par Benoît Rey, Editions de Minuit. (3) « L’Ennemi intime », par Patrick Rotman, Seuil. (4) « Journal : 1955-1962 », par Mouloud Feraoun, Seuil. (5) « Appelés en Algérie, la parole confisquée », par Claire Mauss-Copeaux, Hachette Littératures. (6) « La Villa Susini, tortures en Algérie. Un appelé parle », Editions Tirésias.
3. HARKIS : LA DESCENTE AUX ENFERS
Ils ont choisi la France par idéal, par intérêt ou par haine du FLN.Certains n’ont pas eu le choix, comme Saïd Ferdi, arrêté, torturé et engagé de force à 13 ans dans les tirailleurs algériens.Récit
Je suis né en 1944, à N’Gaous, dans un village au pied de la montagne des Aurès. Mon père travaillait dur chez des riches propriétaires. C’était un homme juste et pieux, exigeant mais très tolérant : un homme merveilleux. Il sacrifia tout confort pour nous envoyer, quatorze garçons et filles, à l’école arabe, moins chère. L’année de mes 9 ans, à l’occasion d’une fête, l’instituteur nous demanda de monter un sketch. Nos poèmes nationalistes firent sensation. Le lendemain, après deux heures d’interrogatoire, le caïd aux ordres des Français nous donna plusieurs gifles et infligea une amende à l’instituteur. Fin 1955, les révolutionnaires avaient tué une trentaine de personnes et brûlé trois fermes de colons. De leur côté, les Français mettaient le feu aux maisons, tuaient ou emprisonnaient les gens. De nombreux villageois avaient pris le maquis. Pour être admis dans le réseau FLN, il fallait commettre un attentat. La moindre erreur était punie de mort. Dans mon village, un des candidats tira sur le gendarme désigné mais le rata. A son retour, les maquisards le fusillèrent. On entendait aussi des histoires de lèvres coupées pour ceux qui fumaient, de nez tranché pour les désobéissants. Le FLN ordonna à tous les villageois de tuer leurs chiens pour éviter qu’ils ne donnent l’alerte sur leur passage. Un villageois avait épargné son chien. Un homme du FLN l’a égorgé devant lui. Le lendemain, le villageois rejoignait le camp des Français. Le mois de janvier 1956 fut très mouvementé. Le 11, une centaine de bérets rouges vinrent s’installer au village pour briser le FLN. Au matin du 15, une dizaine de morts gisaient sur les trottoirs, couverts de traces de torture. Des portes de magasins étaient brisées, des gosses pleuraient dans les rues, cherchant leur père ou leur frère. On compta 85 enlèvements, dont mon cousin, dont on n’entendit plus jamais parler. Moi, j’ai le souvenir d’une grande peur. Ma première peur. Le raid des « léopards » fit basculer le village. Un jour, mon père me dit : « Tes deux frères sont partis avec les révolutionnaires. Ce sont des "djounoud". Surtout ne dis rien à personne. » Le 3 mars 1958, comme chaque matin, je pris le chemin de l’école, mes livres sous le bras. Au bout d’une cinquantaine de mètres, je m’arrêtai pour me laver dans un ruisseau. Soudain, je reçus un violent coup de crosse derrière la tête. Je restai une dizaine de minutes par terre, à moitié assommé. En reprenant mes esprits, j’aperçus un soldat qui avait ramassé mes livres. Il me posa une question en berbère que je ne compris pas. Il me poussa à coups de pied vers un groupe de cinq hommes, dont un gradé et un interprète. Quelqu’un s’était évadé de la caserne, ils voulaient savoir si j’avais vu quelque chose : « Où vas-tu avec ces livres ? – A l’école. – Quel âge as-tu ? – 13 ans et demi. – Fais voir tes papiers. – Je suis trop jeune pour en avoir. – Alors suis-nous à la caserne. – Pourquoi ? » La gifle fut si violente que mes oreilles en sifflèrent longtemps : « Ta gueule, espèce de chien ! » Il avait parlé en arabe. A la caserne, le chef pointa sa canne sur moi : « Toi, petit fellagha ! » Le gradé me battit à coups de canne sur la tête, d’abord à petits coups, puis de plus en plus fort. Plus tard, à ma grande honte, ils me déshabillèrent. Je me retrouvai nu sur une table, attaché par des sangles. Le gradé avait une boîte d’où sortaient des fils et une manivelle. Il m’enroula l’extrémité d’un fil sur la verge et l’autre sur l’oreille et donna quelques tours de manivelle. La douleur fut telle que je hurlai horriblement. Au bout de vingt minutes, la séance fut interrompue par l’arrivée d’un homme en képi – le capitaine –, visiblement mécontent du traitement qu’on m’infligeait. J’avais la figure pleine de sang et tout mon corps tremblait. Quelques jours plus tard, le capitaine me dit, sans autre explication : « On ne peut plus te relâcher. » On me donna un pistolet sans cartouches et un uniforme retaillé pour moi, avant de m’amener patrouiller dans le village sous le regard des autres. Ce jour-là, ma vie a basculé : j’étais devenu un harki. A la 3e compagnie du 7e régiment des tirailleurs algériens, chaque section d’une trentaine d’hommes comportait une poignée de gradés français et pieds-noirs, les autres étaient des Algériens, engagés ou appelés. Ma première sortie ressemble aux centaines d’autres opérations qui suivirent. Ratissage d’une zone, accrochage d’une katiba (« compagnie de fells ») avant le bombardement aérien : les T6 larguaient des roquettes sur la montagne, les P28 lâchaient du napalm sur les forêts. Sur un piton, j’ai vu une dizaine de cadavres déchiquetés par les balles et carbonisés par le napalm. J’ai vomi. Le manque d’habitude. J’étais très choqué de voir les tirailleurs bondir sur les cadavres pour leur arracher bagues, montres, portefeuilles ou rangers, quand ils en avaient. Parfois, ils éventraient les corps à la baïonnette ou enfonçaient des morceaux de bois dans les corps brûlés, réduits à des tas de charbon. Les blessés étaient achevés d’une rafale. En quatre ans et des centaines d’opérations, je n’ai pas le souvenir d’une sortie sans un vol, un viol ou un assassinat. Tout cela commis le plus souvent à l’insu des gradés. J’ai vu des appelés débarquer, pacifiques, et finir par collectionner des oreilles de fellaghas dans le formol. J’avais un seul ami, Daniel, un appelé jardinier qui aimait les fleurs et parlait doucement. Humain, quoi ! Il me racontait son pays, sa famille, et m’a fait aimer la France. Un jour, il a voulu sortir avec moi, pour une banale opération. On a débusqué une katiba, un fell a rafalé. Daniel est tombé à côté de moi, à plat-ventre, les bras écartés : du sang lui sortait de la bouche. Peu après, le capitaine a libéré deux garçons des cuisines qui voulaient rejoindre leurs familles. Ils ont été enlevés quelques jours plus tard par les fells ; on a retrouvé leurs corps égorgés et suppliciés. Impossible d’échapper à l’enfer. J’avais un copain, surnommé « Amirouche », qui voulait gagner le maquis. Il s’est évadé cinq fois ! Chaque fois, les fells le renvoyaient après l’avoir fait souffrir et menacé de mort. Chaque fois, les militaires le reprenaient et le torturaient. Il serrait les dents mais n’émettait pas une plainte. Hallucinant de courage. Un jour, il a dit : « Je ne sais plus qui je suis. Je suis prisonnier des Français et condamné à mort par les fells. » Et il s’est enfermé dans un silence définitif. Lors d’une opération, un tirailleur de la deuxième section a vu quelqu’un bouger devant lui ; il a lâché une rafale et s’est précipité sur le cadavre pour récupérer l’arme : c’était son père. Il a failli devenir fou. Il a déserté quelques jours plus tard et s’est fait tuer, côté fells, au cours d’un accrochage. Un autre jour, les militaires ont pris l’imam de la mosquée de mon village. Ils l’ont passé à la gégène devant moi. Avant de mourir, il m’a dit : « Je t’ai appelé "mon fils" la première fois que je t’ai vu. » Et il m’a craché au visage. Le 19 mars 1962 au matin, le capitaine nous a dit que le cessez-le-feu était entré en vigueur : « Pour nous, la guerre, c’est fini. » Il nous a expliqué que nous avions le choix entre trois solutions : rejoindre une force locale algérienne sous contrôle français jusqu’à l’indépendance, quitter l’armée et rester en Algérie, ou s’engager et rentrer en France avec l’armée. Personne ne disait mot ; nous étions tous plongés dans la stupeur. L’adjudant insistait pour me faire venir en France. Je me méfiais. L’adjudant André F. était celui qui m’avait cassé les dents et torturé à 13 ans. Chargé du renseignement, il torturait tous les prisonniers avec sadisme, jouissait, lèvres serrées, à la vue du sang et tournait très vite la manivelle jusqu’à la mort. Plus tard, affecté à Epinal, il se montrera un homme respectable, toujours prêt à rendre service. Il finira sa carrière la poitrine couverte de décorations, dont la Légion d’honneur. Avant mon départ, le capitaine, pied-noir d’origine, m’expliqua avec tristesse que vu ma capture et le tour qu’on m’avait joué... il était préférable que je ne reste pas en Algérie, même si la vie en métropole ne serait pas très rose. Sur le quai du port, nous avons croisé des soldats algériens qui rentraient de leur service en France. Ils nous ont traités de « traîtres, vendus » et tout se termina en bagarre générale. Après ? Après, rien… Pendant quinze ans, en France, j’ai vécu mécaniquement. Manger, boire, dormir. Sans aucune notion de bien ou de mal. Sans aucun souvenir. Et puis, un jour, tout est revenu, d’un coup. Mes nuits étaient blanches, pleines de questions et d’affreux cauchemars. Je revoyais tout... Tous les ans, pendant deux à trois mois, je suis allé à l’hôpital psychiatrique de Bercy. Je sortais un peu mieux pour le reste de l’année. Et tout recommençait. J’ai fini par écrire un livre (1). Cela m’a soulagé pendant quelque temps. J’ai eu mes premières relations sexuelles à l’âge de 35 ans. Je me suis marié, j’ai eu une fille : un bonheur. Mais quand elle a eu 8 ans, l’angoisse m’a repris : « Mon Dieu, dans quel monde l’ai-je envoyée ? » En 1982, j’ai essayé, plein d’espoir, de retourner voir l’Algérie, vingt ans après : on m’a refoulé dès mon arrivée à Bône. J’y suis allé en vacances en 1992 ; j’ai vu les islamistes, les troubles... j’ai fui. J’écoute la radio : un geste humanitaire me donne de l’espoir ; une mauvaise information sur une guerre me fait sombrer. J’aurais préféré mourir avec les autres, là-bas. Parfois, j’ai envie d’aller vivre dans la montagne, seul, loin des humains. Je ne vois pas le bout de tout ça. Dites-moi, est-ce moi qui suis fou ? Ou les autres autour de moi ?
Propos recueillis par Jean-Paul Mari
(1) « Un enfant dans la guerre », Points Seuil, 206 p.
4. COMMENT LA BLEUITE A EMPOISONNÉ LE FLN
A la fin des années 50, une opération de manipulation montée par les services français a déclenchéune purge dévastatrice au sein de l’Armée de Libération nationale. Dans son livre « Il faut abattre la Lune », Jean-Paul Mari raconte cet épisode, l’un des plus tordus de la guerre d’Algérie. Extraits
Toute la zone rebelle de la willaya III est intoxiquée par la « bleuite ». Ce nom étrange vient des bleus de chauffe arborés en guise d’uniforme par les spécialistes de la guerre contre-insurrectionnelle dirigée par le capitaine Paul-Alain Léger. L’homme est redoutable : fin, cultivé, brun, un regard noir et perçant, le nez aquilin, les lèvres minces, avec à la fois quelque chose de féminin et de prédateur dans le visage. Parachuté en France en juillet 1944, rompu au combat dans les rizières d’Indochine et les djebels, il n’ignore rien des méthodes des services secrets français, de l’action psychologique et de la manipulation. Quand il débarque à Alger, des bombes viennent d’exploser dans la capitale, dont la Casbah est aux ordres directs du FLN. Le capitaine Léger décide de noyauter l’organisation. Son supérieur hiérarchique, le colonel Godard, lui-même ancien de la Résistance, des troupes du 11e choc et du renseignement en Indochine, approuve son projet. Le GRE (Groupe de Renseignement et d’Exploitation) est né. Le principe de la bleuite est simple et diabolique. Quand un rebelle est identifié et arrêté, il est interrogé, souvent torturé, toujours compromis ou piégé. On lui offre de changer de camp. Brisé, retourné ou acquis à sa nouvelle cause, il rejoint les Bleus. Une fois remis en liberté, il reprend le chemin de sa willaya, où on l’aide en secret à gravir un à un les échelons de l’Armée de Libération nationale. Le jeu est terriblement dangereux. De son bureau à Alger, le capitaine Léger met à profit le moindre renseignement et document saisi, confectionne de faux cachets et rédige des lettres signées des « frères d’Alger » qu’il fait parvenir par des boîtes aux lettres clandestines aux vrais « frères du maquis ». Au fil des mois, ses hommes s’infiltrent, le renseignent et tissent une vaste toile d’araignée. Un soir, quand un de ses émissaires revient de la montagne en lui mettant sous les yeux une lettre officielle surchargée de cachets du FLN, le capitaine Léger se frotte les yeux : « Le porteur de cet ordre de mission est habilité au nom de la willaya III à représenter l’armée et le Front de Libération nationale au sein de la zone autonome d’Alger. » En clair, ce sont désormais les services français qui ont pris la direction politico-militaire de la région d’Alger, toute une partie du maquis. Et c’est le capitaine Léger qui décide du choix des armes et du lieu des attentats antifrançais ! Evidemment, les nuits d’Alger redeviennent calmes et il ne se passe plus grand-chose en dehors d’une voiture brûlée et d’une escarmouche sans conséquences. L’opération « double jeu » va durer six mois, pendant lesquels le FLN se demandera, stupéfait, pourquoi les activités terroristes des « frères d’Alger » sont quasi nulles. Fin 1958, la manipulation se transforme en intoxication meurtrière quand Léger introduit au sein du maquis le virus de la bleuite, qui va progressivement gagner toute la willaya III du redoutable Amirouche. La méthode consiste à déceler un authentique maquisard, rétif, impossible à retourner, et à faire mine de lui proposer de rejoindre les Bleus. Le capitaine Léger lui explique alors à quel point le maquis est infiltré, lui cite les noms des « traîtres », lui fait lire des faux documents et entendre des pseudo-messages radio à destination de ses soi-disant complices de la willaya III. Il suffit ensuite de faire semblant d’envoyer l’homme en mission non loin d’un maquis FLN pour qu’il s’empresse de s’évader et d’alerter ses chefs sur l’étendue des dégâts présumés. Dans la montagne, le doute s’installe, renforcé par la découverte de cadavres algériens tués dans un simulacre bruyant d’embuscade. Sur les corps abandonnés, les vrais fellaghas accourus découvrent de petits papiers soigneusement roulés, faux ordres de mission français cousus dans la doublure des treillis. Le syndrome aigu de paranoïa politico-militaire va gagner, s’étendre en cercles concentriques à toute la willaya et déboucher sur un nettoyage façon Khmers rouges. [...] Dans la willaya III, Amirouche, son chef, est connu comme un homme intraitable, psychorigide et brutal. Puisqu’il est persuadé que le corps de la rébellion est gangrené, il décide de traiter le mal à sa manière. Son lieutenant Hacène Mayhouz fait installer chaque soir un kanoun, sorte de barbecue à même le sol, et suspendre les premiers suspects par les chevilles et les poignets... C’est la technique de l’« hélicoptère », où le supplicié monte et descend le ventre offert aux braises du kanoun. Au petit matin, ceux qui n’ont pas parlé sont morts ; les autres, atrocement brûlés, ont fini par avouer n’importe quoi et à donner d’autres noms. Ils sont exécutés comme le méritent les « traîtres ». Fort de ces renseignements, Amirouche ordonne aussitôt d’élargir le champ des investigations. Et l’« hélicoptère » fonctionne à plein régime. Le 3 août 1958, Amirouche adresse une longue mise en garde aux commandants des autres willayas : « Cher frère, j’ai le devoir de vous informer en priant Dieu pour que ce message vous parvienne à temps de la découverte en notre willaya d’un vaste complot ourdi depuis de longs mois par les services français contre la révolution algérienne. Grâce à Dieu, tout danger est maintenant écarté, car nous avons agi très rapidement et énergiquement. Dès les premiers indices, des mesures draconiennes étaient prises en même temps : arrêt du recrutement et contrôle des personnes déjà recrutées, arrestation des goumiers et soldats "ayant déserté", arrestation de toute personne en provenance d’autres willayas, arrestation de tous les djounoud [soldats] originaires d’Alger, arrestation de tous les suspects, de toutes les personnes dénoncées de quelque grade qu’elles soient et interrogatoire énergique de ceux dont la situation ne paraissait pas très régulière. » On estime à 2000 hommes le nombre de « suspects » suppliciés. Dans sa circulaire, Amirouche précise que les traîtres sont surtout des personnes instruites, intellectuels, étudiants, collégiens, médecins et enseignants. L’« hélicoptère » a sans doute brûlé jusqu’à la mort le ventre d’une partie de l’intelligentsia algérienne.
J.-P. M.
© NIL Editions 2001
5. FLN CONTRE MNA : LA GUERRE DANS LA GUERRE
Par Edgar Morin « L’Affaire Bellounis », publiée en 1998 par un adjoint du chef de guerre messaliste, jette une lumière crue sur les divisions sanglantes du mouvement national algérien
Le Nouvel Observateur. – L’extraordinaire, avec « l’affaire Bellounis », est qu’elle ouvre le dossier méconnu d’une lutte acharnée au sein du nationalisme algérien...
Edgar Morin. – Oui. Et dès le début de la guerre d’Algérie. Il y a un conflit entre Messali Hadj, fondateur du nationalisme algérien, et son comité central, qui lui reproche son culte de la personnalité. Un groupe clandestin, le CRUA (Comité révolutionnaire d’Unité et d’Action), futur FLN, décide de réconcilier les uns et les autres... en lançant une insurrection armée, le 1er novembre 1954. Du coup, Messali décide que ses hommes vont prendre le maquis. Et quand le FLN veut absorber ses forces, il refuse. Rapidement, les combattants du FLN attaquent les maquis de Messali et les éliminent. Sauf un, le plus dur, celui que dirige Bellounis. Des officiers français nouent alors des contacts avec Bellounis pour l’utiliser contre ses frères ennemis du FLN. C’est l’année du massacre de Melouza, où des combattants de l’ALN-FLN vont tuer plus de 300 habitants d’un village favorable à Messali. Pris entre deux feux, Bellounis n’a plus le choix. Il est urgent pour lui de conclure un accord de fin des hostilités avec les Français. Il réussit à les bluffer sur l’importance de ses forces, pose ses conditions et réclame des armes et du matériel. Qu’il obtient. En contrepartie, les Français lui demandent de ne plus utiliser le drapeau algérien, de ne pas prélever d’impôt et de ne pas mobiliser. Ce qu’il ne respectera pas.
N. O. – Pour Bellounis, cet accord est une trêve armée, en attendant le jour où, une fois liquidé le FLN, il se retournera contre l’« armée colonisatrice » ?
E. Morin. – Exactement. D’ailleurs, il écrit à Messali pour lui demander sa caution : « Donnez-moi votre bénédiction... Nous allons libérer l’Algérie ! » Sauf que le vieux leader est persuadé – à tort – qu’il y a des accords secrets entre Bellounis et les Français. Il ne les obtient pas et refuse de reconnaître Bellounis.
N. O. – Se bat-il vraiment contre le FLN ?
E. Morin. – Pendant toute une année. Son maquis s’étend et ses troupes bien armées, atteignent 8000 hommes ! Au point que les Français finissent par s’en inquiéter.
N. O. – Après le 13 mai 1958, les Français lui demandent de se rallier. Il refuse. Le 23 juillet, les commandos du 11e Choc lui tendent un guet-apens...
E. Morin. – ... et Bellounis est tué. Après sa mort, son état-major est très divisé. Les uns pensent qu’il faut rallier le FLN ; d’autres, qu’il faut continuer seuls le combat. Une partie du maquis se perd dans la nature...
N. O. – Comment avez-vous rencontré Chems Ed Din – c’est un pseudonyme –, l’auteur du texte que vous avez préfacé (1) ?
E. Morin. – Il faisait partie de l’état-major de Bellounis. A sa mort, il décide de se rendre en bus à Alger. Arrêté à un contrôle, il est interrogé par les Services psychologiques, à qui il dit tout. On le libère et il gagne la France où il trouve un emploi… de vendeur au BHV. J’habitais à côté, rue des Blancs-Manteaux, où j’avais caché un temps un fugitif, un parent à lui. Mis en confiance, il vient me voir avec ce manuscrit : il veut témoigner.
N. O. – Qu’est-ce qui vous pousse à accepter ?
E. Morin. – Le souvenir de la honte. J’étais scandalisé par la campagne de calomnie contre les messalistes, les faisant passer pour des traîtres, des espions, des collabos de la police. Et j’avais en tête la campagne de diffamation menée pendant la guerre contre les trotskistes accusés d’être des agents de Hitler. A l’époque, j’étais communiste et je n’avais rien dit. Et j’avais honte de m’être tu. En 1955, les amis du FLN, Francis Jeanson et André Mandouze, veulent faire passer l’idée que Messali est le Pierre Laval d’Algérie. Il y a même des gens des « Temps modernes » qui affirment que le FLN est l’avant-garde du prolétariat mondial. Il y a quand même eu, à cette époque, une débauche de conneries exprimées !
N. O. – Evidemment, l’affaire Bellounis est présentée comme la « preuve » de la trahison de Messali...
E. Morin. – Pardi ! Sauf que je sais, moi, que Bellounis n’a pas la caution de Messali. Que celui-ci est resté un nationaliste. Contre cette hystérie fanatico-sectaire, je suis prêt à défendre son honneur.
N. O. – Pour publier ce texte, vous vous adressez à Jérôme Lindon. Sa réponse ?
E. Morin. – « Ce n’est pas le moment ! » Combien de fois ai-je entendu cela dans ma vie ! J’ai donc gardé le manuscrit.
N. O. – Pourquoi le faire publier en 1998 ?
E. Morin. – J’ai rencontré une jeune femme d’origine algérienne, une actrice, dont le père était militant messaliste. Elle m’a dit qu’elle avait beaucoup souffert de l’étiquette de « traître » accolée à sa mémoire. Alors j’ai envoyé le manuscrit, un peu comme une bouteille à la mer.
N. O. – Quelle a été la réaction des critiques ?
E. Morin. – Nulle. Pas un mot dans la presse. Les gens n’ont pas compris... Ils n’ont pas lu !
N. O. – Aujourd’hui encore, vous ne pouvez pas dire qui est Chems Ed Din ?
E. Morin. – Hé non ! L’auteur est toujours en Algérie, et cette affaire n’est pas encore purgée. La lutte entre le FLN et le MNA, en France et en Algérie, a fait plus de 10000 morts. Ces frères se sont entre-tués. Rien n’est plus horrible. « L’affaire Bellounis » montre ce qu’on a voulu cacher : la complexité de cette guerre. Il y avait plusieurs voies vers l’indépendance. Reste que la liquidation des messalistes est un des péchés originaux du FLN. Qui nous dit que, parmi les massacres actuels, il n’y pas le souvenir de ces villages messalistes et FLN qui ont tellement souffert de cette féroce guerre entre frères ?
Propos recueillis par JEAN-PAUL MARI
(1) « L’Affaire Bellounis », par Chems Ed Din, préface d’Edgar Morin (« Retour sur la guerre d’Algérie »), Editions de l’Aube.
6. LES DISPARUS D’ORAN
Par Benjamin Stora Dans l’inconscient pied-noir, le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance, est à jamais lié au souvenir des tueries et enlèvements qui eurent lieu dans la capitale de l’Ouest algérien. Récit
Le 5 juillet 1962, à Alger, c’est la photo que l’on croyait impossible : le drapeau algérien flotte sur le balcon de la préfecture où va s’installer le GPRA (le Gouvernement provisoire de la République algérienne). Les résultats du référendum donnent une majorité écrasante pour l’indépendance et la foule algérienne est en liesse. Mais, à plus de 400kilomètres de là, à Oran, ce jour-là, c’est le drame. Vers 11heures du matin, des milliers de manifestants venant des quartiers musulmans envahissent la ville européenne. Les premiers coups de feu éclatent et jettent une population prise de panique dans toutes les directions. On ignore les causes de la fusillade, on parle d’une provocation des derniers commandos de l’OAS ou de tireurs isolés appartenant à la communauté européenne, exaspérés devant les manifestations de joie pour l’indépendance. Immédiatement apparaissent des civils musulmans dont certains sont munis d’armes blanches, d’autres de pistolets et de fusils-mitrailleurs. Certains appartiennent à la force locale mise en place après le cessez-le-feu du 19mars 1962. Dans les rues soudain vides commence une chasse aux Européens, ceux que l’on appellera plus tard, en France, les « pieds-noirs ». Ils lèvent les bras, tentent de se réfugier dans des écoles, des églises, comme en témoigne Gérard Israël, dans son ouvrage « le Dernier Jour de l’Algérie française » : « On criait partout : "Les Arabes arrivent, ils arrivent en masse vers le centre-ville !" Des Oranais affolés avaient frappé aux portes du journal, criant leur angoisse, désignant les émeutiers qui se rapprochaient en hurlant. […] Dehors, les hurlements, les coups de feu, les cavalcades de la foule en furie continuent. Personne ne peut voir ce qui se passe à l’extérieur. On entend un hélicoptère. » En l’espace d’une heure, vingt et un Européens sont tués et une cinquantaine d’autres blessés, selon un bilan officiel de l’armée française. Vers midi, la grande poste est envahie, des employés français sont enlevés, d’autres sont tués, certains arrivent à se réfugier au deuxième étage et à envoyer un appel radio demandant du secours. Ils seront entendus par des navires étrangers et parviendront à s’enfuir vers le port deux heures plus tard. Les reporters de « Paris Match » présents sur place, Serge Lentz et le photographe Jean-Pierre Biot, font un récit haletant des événements : « 12h50 : autour de nous, des soldats musulmans embusqués dans les porches tirent à l’aveuglette. 12h55 : nous embouchons le boulevard du 2e-Zouave. Une mitrailleuse lourde se déchaîne, puis une autre. Nous restons paralysés. […] 13h20 : nous avons trouvé refuge dans une caserne de zouaves. On nous offre à manger, mais nous sommes incapables d’avaler quoi que ce soit. Un cadavre est affaissé devant la porte de la caserne. C’est un musulman [NDLR : vraisemblablement un harki] que d’autres civils musulmans ont poursuivis jusqu’ici. Avant même que les zouaves aient le temps d’intervenir, le malheureux a été abattu d’une balle de revolver, puis achevé à coups de crosse et à coups de couteau. Le corps n’a plus rien d’humain. La tête est à moitié arrachée. […] 14heures : vers le quartier Saint-Eugène, un vacarme énorme se déclenche. Mortiers, grenades, mitrailleuses lourdes, tout y passe. […] 15h15 : je vois une longue colonne d’Européens qui remontent la rue ; plus de 400. Les visages sont durs, fermés, certains sont tuméfiés. La colonne est silencieuse. C’est un spectacle poignant. 15h30 : après plus de trois heures de fusillade, les tirs se sont tus. » S’agissaient-ils de tirs d’unités de l’ALN ? De membres de commandos de l’OAS encore présents dans la ville ? Ou encore d’éléments de l’armée française, comme l’affirmera plus tard le général Katz, responsable à l’époque de la ville d’Oran, dans son ouvrage « l’Honneur d’un général » ? Les enquêtes ultérieures ne permettront jamais de l’établir. Vers le boulevard de l’Industrie, des coups de feu sont tirés sur des conducteurs, dont l’un, touché, s’affaisse au volant, tandis que sa voiture s’écrase contre un mur. Sur le boulevard du Front-de-Mer, on aperçoit plusieurs cadavres. Une Européenne qui sort sur son balcon est abattue. Près du cinéma Rex, on peut voir une des victimes européennes de ce massacre pendue à un croc de boucher. Les Français, affolés, se réfugient dans les locaux du journal « l’Echo d’Oran » ou s’enfuient vers la base française de Mers el-Kébir. Pendant ce temps, le général Joseph Katz, que les Français d’Oran n’apprécient guère, déjeune à la base militaire de la Sébia. Averti des événements, il aurait, selon l’historien Claude Paillat, répondu à un officier : « Attendons 17heures pour aviser. » Les troupes françaises restent l’arme au pied – ce que contestera vigoureusement le général Katz. Précisément à 17heures, la fusillade se calme. Dans les jours qui suivent, le FLN reprend progressivement la situation en main. Il procède à l’arrestation et à l’exécution d’émeutiers comme le chef de bande Attou Mouckdem, qui mettait en coupe réglée le quartier du Petit-Lac et celui de Lamur-Medioni. Pourquoi une telle tragédie à Oran ? La ville est majoritairement peuplée d’Européens, même si, après 1945, les quartiers musulmans se sont étendus. Oran possède une vieille tradition d’accueil des militants politiques de toutes sortes, en particulier les républicains espagnols, communistes ou anarchistes opposés au régime de Franco. Les militants de gauche ou syndicalistes y sont également très actifs. L’extrême-droite aussi est bien implantée, notamment depuis les années30, avec le célèbre abbé Lambert, un moment maire de la ville. Mais, dans l’engrenage cruel de la guerre d’Algérie, les différences idéologiques ou sociales s’effacent progressivement, et la majorité de la population européenne va peu à peu basculer en faveur des thèses de l’OAS. Cette Organisation armée secrète, qui entend livrer au nom de l’Algérie française un combat sans merci au général de Gaulle, dispose de nombreuses complicités dans l’ensemble de l’administration. Elle semble agir en toute impunité, multipliant les attentats, les hold-up, les vols d’armes. A l’approche des négociations d’Evian, l’OAS multiplie les actions spectaculaires à Oran afin de creuser un fossé sanglant entre Algériens et pieds-noirs. Le 28février 1962, un véhicule piégé explose en plein cœur de la Ville-Nouvelle, le quartier musulman le plus important d’Oran. L’attentat – le plus meurtrier de la guerre d’Algérie à cette date – fait 35morts et une centaine de blessés. D’autres actions sanglantes se succèdent, comme le 3mars où une vingtaine d’Algériens sont tués. Le 19mars, l’OAS organise une grève générale dans toute l’Algérie pour protester contre les accords d’Evian. Le 25mars, l’arrestation à Oran du général Edmond Jouhaud, l’un des fondateurs de l’OAS, provoque la fureur des activistes de l’Algérie française, bien décidés à transformer Oran, comme Alger, en un « nouveau Budapest ». Mais l’échec du soulèvement de Bab el-Oued, à Alger, au début d’avril, quand l’armée française ouvre le feu et fait donner l’aviation contre le quartier pied-noir insurgé, brise le moral des Européens : ils décident de fuir la ville d’Oran transformée en enfer. Les commandos de l’OAS multiplient alors le harcèlement des gendarmes, des soldats du contingent, et assassinent jusqu’aux femmes de ménage algériennes. Le 2mai, une voiture piégée explose sur le port d’Oran, faisant de nombreuses victimes musulmanes. L’historien algérien Fouad Soufi note que la ville est « tellement coupée en deux qu’aucune inhumation ne peut plus se faire au cimetière chrétien de Tamashouët entre le 2 et le 18mai. Le cimetière est mitoyen du quartier Lamur, fief de la zone4 du FLN ». Oran est submergée par la haine et le désir de vengeance. L’OAS locale, à la différence de la direction d’Alger, rejette les accords passés le 17juin entre le FLN et Jean-Jacques Susini, l’un des principaux dirigeants de l’OAS. La lutte doit être frontale, totale. C’est la politique de la terre brûlée. Le lundi 25juin 1962, en fin de journée, le ciel d’Oran prend des couleurs d’apocalypse. Les réservoirs à mazout de la British Petroleum ont été plastiqués et 50millions de litres de carburant brûlent. Sur toute la surface des installations, tout est carbonisé et tordu. Les flammes s’élèvent à plus de 100mètres au-dessus de la ville. Pendant plusieurs heures, un énorme nuage noir se déploie jusqu’à la base maritime de Mers el-Kébir et recouvre la région d’un voile crépusculaire. L’éclipse durera deux jours. Dans le port, cargos et paquebots appareillent en toute hâte. C’est le dernier épisode de l’opération « terre brûlée » lancée par les commandos de l’OAS. Pendant que les pompiers tentent d’éteindre l’incendie, les derniers « desperados » partisans de l’Algérie française continuent de tirer à la mitrailleuse. Du 19mars au 1erjuillet 1962, on dénombre à Oran comme victimes de l’OAS : 32 membres des forces de l’ordre tués et 143 blessés, 66 civils européens tués et 36 blessés, 410 Algériens tués et 487 blessés. L’historien Charles-Robert Ageron écrira à ce propos : « On comprend dès lors pourquoi le jour de l’indépendance fut ressenti par la population européenne avec terreur. Abandonnée par les commandos de l’OAS, elle redouta à tort un massacre général. » Dans les premiers jours de juillet 1962, les quartiers européens se vident peu à peu, les magasins sont éventrés et les ordures s’amoncellent au milieu des rues. Oran est devenue cette ville de la peste que décrivait Albert Camus. Plus de la moitié des Européens, près de 100000 personnes, ont déjà quitté la ville. Les départs s’intensifient au rythme de 8000 par jour, tandis que de jeunes Algériens, membres du FLN, distribuent des tracts où il est affirmé que le Coran interdit la vengeance… ce qui n’interdira pas le massacre du 5juillet. Son bilan est lourd : 95 personnes dont 20 Européens ont été tuées – 13 à coups de couteau – et 161 blessées, selon les chiffres donnés par le docteur Mostéfa Naït, directeur du centre hospitalier d’Oran. Les Européens racontent des scènes de torture, de pillages et surtout d’enlèvements. Dans son livre « l’Agonie d’Oran », Geneviève de Ternant établira une liste nominale de 144 personnes mortes ou disparues pour la seule journée du 5juillet. Le 8mai 1963, le secrétaire d’Etat aux Affaires algériennes déclare à l’Assemblée nationale qu’il y avait 3080 personnes signalées comme enlevées ou disparues, dont 18 ont été retrouvées, 868 libérées et 257 tuées essentiellement dans l’Oranie. Cette page honteuse de l’histoire française, moment épouvantable de massacres et de disparitions d’Européens, n’a jamais cessé d’habiter l’imaginaire pied-noir dans les douleurs de l’exil, au lendemain de l’indépendance. Comme une marque ineffaçable. Ce souvenir sera aussi mal vécu par de nombreux officiers de l’armée française, déjà hantés par un autre massacre, celui des harkis et de leurs familles. Le 12juillet 1962, Ah-med Ben Bella pénètre dans Oran sous les youyous des femmes musulmanes. Une autre bataille commence, celle pour le pouvoir en Algérie.
Benjamin Stora
(*) Professeur d’histoire du Maghreb à l’Inalco, Paris. Dernier ouvrage paru : « Histoire de la guerre d’Algérie », coll. « Repères », La Découverte, 2001.
A lire Sur la ville : « Oran », par Jean-Jacques Gonzalez, Séguier, 1998. Sur la tragédie : « Oran, 28 février et 5 juillet 1962, deux événements pour l’histoire », par Fouad Soufi, dans « la Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises », Société française d’Histoire d’Outre-Mer, 2000.
7. ETÉ 62 : ET L’ARMÉE S’EMPARA DU POUVOIR...
Par Mohammed Harbi* Après la liesse de l’indépendance, la bataille continue au sein du FLN. Pour éliminer ses adversaires, Ben Bella s’appuie sur les militaires. Qui finissent par le dévorer
Le Nouvel Observateur. – Nous sommes le 5juillet 1962, jour de l’indépendance, le FLN triomphe. Est-ce l’état de grâce ?
Mohammed Harbi. – Non, au contraire, nous sommes en pleine bataille interne ! N’oubliez pas que le FLN s’est constitué à partir de la scission d’un parti. Le FLN est un mouvement de résistance beaucoup plus qu’un parti politique. Au départ, il y avait une direction improvisée. Quand les problèmes concrets se sont posés – pourvoi en armes, alliances, etc. –, il a bien fallu constituer une direction nationale. Au passage, on a éliminé une partie des pères fondateurs – Ben Bella, Aït-Ahmed, Boudiaf –, au profit d’une direction constituée autour de l’Algérois et de la Kabylie. Dès 1956, il existe donc un contentieux entre les dirigeants.
N. O. – Un contentieux qui va jusqu’à l’élimination physique ?
M. Harbi. – A partir de 1957, Aban Ramdane, libéré des prisons françaises, est marginalisé politiquement puis étranglé dans une ferme au Maroc par des hommes de main de Boussouf. Dès lors, un triumvirat s’impose – Krim Belkacem, Boussouf, Bentobbal –, qui décide de façon consensuelle. A vrai dire, les trois hommes n’ont pas de divergences politiques, mais déjà, à cette époque, un réel problème de partage du pouvoir.
N. O. – Qu’est-ce qui, le jour de l’indépendance, oppose les vainqueurs ?
M. Harbi. – D’un côté, il y a l’état-major de l’armée extérieure, à Tunis, avec 20000 hommes installés aux frontières. De l’autre, la résistance intérieure, forte autrefois de 30000 combattants et réduite à 9000 hommes très éprouvés par le choc frontal avec l’armée française. Entre les deux, pendant la guerre, les Français ont érigé la « ligne Morice », ligne de défense quasi infranchissable. Ce qui explique le ressentiment de la résistance intérieure, qui a manqué de renforts, d’armes, et qui accuse Tunis de son isolement : « Vous nous avez laissés seuls ! » Mais le nœud du problème est la décision, lors des négociations à Evian, de créer, pendant la période transitoire en Algérie une force locale, une armée de 40000 hommes. Du coup, l’état-major de l’armée extérieure craint d’être mis à l’écart. Dans cette logique de crise, d’autres différends politiques vont se greffer. Mais l’essentiel du conflit est bien là.
N. O. – C’est une bataille pour la légitimité ?
M. Harbi. – Féroce ! Au sein du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), Krim Belkacem veut même traduire l’état-major extérieur devant un tribunal ! Ceux qui ont mené la guerre de l’intérieur ont une autorité certaine sur les chefs de willaya, qu’ils considèrent comme leurs clients. D’ailleurs, une partie des willayas, la Kabylie et le Nord-Constantinois, se range derrière le GPRA.
N. O. – On est loin d’un FLN monolithique et uni dans la victoire.
M. Harbi. – Bien loin. Ce sont ces fractures, y compris à l’intérieur des willayas, qui vont apparaître au grand jour au cours de l’été 1962. D’autant que les Français finissent par libérer le groupe de ministres – Ben Bella, Aït-Ahmed, Boudiaf, Khider et Bitat – emprisonnés depuis six ans en France après que leur avion vers la Tunisie eut été détourné. Tout le monde espère alors qu’ils vont régler la crise au sein du FLN. Sauf que Ben Bella et Boudiaf ne s’adressent plus la parole et que chacun, en se greffant sur des forces déjà existantes, va amplifier les divergences ! Le 30 juin 1962, le GPRA démet de ses fonctions l’état-major extérieur. C’est la guerre ouverte et l’armée des frontières, soutenue par Ben Bella, réplique en investissant le terrain. Mais entre la résistance intérieure, quasiment écrasée dans les années 59-60 par le rouleau compresseur de l’armée française, et la force de frappe d’une armée des frontières presque intacte, la lutte est inégale. L’état-major dispose de matériel mécanisé et de blindés. Il casse d’abord militairement le Nord-Constantinois en s’appuyant habilement sur une fracture interne. Il ne touche pas à la Kabylie, par souci tactique, pour ne pas régionaliser le conflit. Mais ses troupes attaquent l’Algérois de front. Après deux à trois jours de combats, qui font entre 200 et un millier de morts, les maquis de l’intérieur sont brisés.
N. O. – Nous sommes en septembre 1962, trois mois après l’indépendance... Au même moment éclatent d’autres combats dans la Casbah !
M. Harbi. – Combats dus, là aussi, à des fractures internes... A Alger, les forces de Yacef Saadi s’opposent à celles de la willaya IV. Entre-temps, la population réagit. Spontanément, les habitants des quartiers populaires lancent d’imposantes manifestations aux cris de « Sept ans de guerre, ça suffit ! ». Fin septembre, les adversaires de Ben Bella cèdent, acceptent un bureau politique et la révision des listes électorales d’où tous les opposants sont exclus. La bataille est terminée, Ben Bella et l’armée des frontières ont gagné. Le visage de l’Algérie s’en est trouvé profondément changé. Il existait une « société de contacts », ceux forgés par la colonisation avec une grande partie de l’intelligentsia. Elle a été soit mise sous tutelle, soit éliminée. Tous les ministres, les députés exclus des listes électorales étaient ceux qui avaient négocié les accords d’Evian. Du coup, ces accords – déjà fragiles – vont devenir plus fragiles encore ! A cela s’ajoute l’exode massif des Européens et surtout – entre mars et juin 62 – l’action de l’OAS, qui a cassé toute autorité possible de l’exécutif provisoire, fait voler en éclats un début d’administration et empêché la mise en place de la force locale. Que restait-il, sinon de simples rapports de force ? Et là, c’est l’armée des frontières qui était le mieux placée. Je suis convaincu que sans l’OAS l’armée des frontières n’aurait pas gagné. Et Ben Bella n’aurait été qu’un acteur du pouvoir parmi d’autres. Le gouvernement algérien aurait disposé d’une police, d’une force locale prévue de 40000 hommes, encadrés par des officiers algériens de l’armée française et entraînés par des officiers français... Jamais l’état-major extérieur n’aurait eu cette voie royale.
N. O. – Et quelles conséquences sur le futur à long terme de l’Algérie ?
M. Harbi. – Le fait militaire, élément déjà hégémonique dans la résistance, va devenir hégémonique dans la société.
N. O. – Nous n’aurions pas ce gouvernement au pouvoir aujourd’hui en Algérie ?
M. Harbi. – Peut-être pas... Les forces civiles auraient eu un tout autre impact dans la société. D’ailleurs, quand Ben Bella a voulu constituer un parti politique, il n’a pas réussi et s’est heurté d’emblée à l’armée. Ensuite, quand Aït-Ahmed a lancé son insurrection FFS en Kabylie, les militaires ont immédiatement et de nouveau occupé le terrain. L’accord entre Ben Bella et Aït-Ahmed n’est survenu que le 15 juin 1965. Trop tard. Le 19 juin, le coup d’Etat portait Boumediene au pouvoir.
N. O. – L’été 62 aurait provoqué la confiscation du pouvoir par les militaires ?
M. Harbi. – Cela a été un jalon important dans un long processus. Ben Bella a choisi de s’appuyer sur l’armée pour éliminer ses adversaires de l’intérieur. Et l’armée a fini par le manger.
Propos recueillis par Jean-Paul Mari
(*) Historien, ancien membre du FLN.
La bataille des archives
Après les combats sur le terrain, il y a eu la bataille des chiffres. Combien de morts du côté algérien ? 1,5 million, a dit le FLN. 250 000, disent les historiens
La France officielle a mis près de quarante ans à reconnaître qu’elle avait mené, entre 1954 et 1962, une « guerre » en Algérie. On sait ce que cache cette longue dénégation : un lourd passé, qui a toujours « du mal à passer », et dont l’histoire au jour le jour dort encore, en grande partie, dans les cartons des archives. Comment y accéder ? Ce n’est plus impossible, mais cela reste un parcours du combattant. Les règles du jeu ont été fixées par la loi du 3 janvier 1979 : les archives publiques sont accessibles au bout de trente ans. Pour la guerre d’Algérie, le délai est donc largement dépassé. Mais la loi prévoit deux exceptions de taille : les dossiers contenant des informations sur les individus, et ceux qui touchent aux intérêts de la défense nationale et de la sûreté de l’Etat. Il faut alors respecter des délais allant de soixante à cent ans. Or la plupart des documents concernant la guerre d’Algérie peuvent entrer dans l’une de ces catégories. L’objectif premier du chercheur sera donc d’obtenir des dérogations. La pression de l’opinion publique peut les y aider. Après ce que Benjamin Stora a appelé l’« explosion mémorielle » qui a suivi les témoignages de ces dernières années sur la torture, le gouvernement s’est engagé à faciliter l’accès aux dossiers et à rendre plus démocratique la procédure de dérogation. Voici quelles sont aujourd’hui les principales sources : – Le Service historique de l’Armée de Terre (SHAT), au fort de Vincennes, qui a réalisé un gros travail d’inventaire et de codification des archives de la guerre proprement dite : localisation des unités militaires, rapports, journaux de marche et d’opérations, etc. – Le Centre des Archives d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence, qui regroupe tous les fonds provenant d’Algérie, depuis le début de la présence française jusqu’en 1962. – Les archives photographiques et cinématographiques des armées (ECPA) réunies au fort d’Ivry. – Les archives de l’Elysée, de Matignon, et surtout celles des trois ministères les plus concernés : l’Intérieur, la Défense et la Justice. Celles-ci sont loin d’être toutes déposées, et encore moins codifiées, donc accessibles aux chercheurs. Mais si certaines armoires s’ouvrent difficilement, le temps du « mensonge organisé et du silence complice » des autorités semble aujourd’hui en grande partie révolu.
François Schlosser
Sous le drapeau français
Le terme a fini par désigner tous les musulmans engagés aux côtés des soldats français. En réalité, harki vient de harka, « mouvement » en arabe, et ne concerne qu’une partie des supplétifs armés lors de la guerre d’Algérie. Au sein de ces forces, on trouvait alors : – Les harkis proprement dits, la majorité des supplétifs armés. Engagés volontaires, ils forment à partir de 1956 des unités, encadrées par des officiers français, qui livrent combat au FLN sur le terrain. Ce sont eux, le plus souvent, qui poursuivent les fellaghas dans les montagnes et ratissent les djebels. Certaines unités, comme le « commando Georges », deviendront célèbres. Un harki est engagé pour la durée d’un contrat renouvelable ; il touche 7,50 francs par jour, plus une indemnité en mission, une autre en cas de blessure (ou sa famille en cas de décès) ; il a droit aux congés payés, mais doit se nourrir à ses frais. Equipés au début de simples fusils de chasse, les harkis recevront ensuite des armes de guerre. En février 1961, au plus fort des effectifs, on en recensera 61600. – Les moghaznis. Créés en 1955 par Jacques Soustelle, recrutés par contrat de six mois renouvelables, ils ont surtout pour tâche de protéger les SAS (sections administratives spécialisées) chargées de maintenir l’ordre et d’assurer des fonctions sociales auprès de la population musulmane. Les moghaznis, regroupés en maghzen, peuvent à l’occasion participer à des opérations militaires. Leurs effectifs atteindront 20000 hommes. – Les GAD. Ce sont des groupes d’autodéfense constitués spontanément, souvent par des anciens combattants, pour défendre leur douar ou leur village, et équipés d’armes diverses distribuées par les Français. En avril 1960, on comptait 47634 membres des GAD, dont 24000 armés (10000 de simples fusils de chasse). Ils ne sont pas rétribués. – Les GMPR, Groupes mobiles de Protection rurale, devenus ensuite les GMS, Groupes mobiles de Sécurité. Ce sont des civils, recrutés par la police et chargés de surveiller essentiellement les zones forestières. On trouve parmi eux des Européens. En tout 8000 à 10000 hommes. – Les assès. Simples sentinelles, ex-territoriaux, au nombre de 2000, ils n’auront pas un rôle essentiel. A la date du 19 mars 1962, jour du cessez-le feu en Algérie, harkis, moghaznis, GAD, GMS et assès représentaient, d’après le ministère de l’Intérieur, 152000 musulmans engagés en armes aux côtés de la France en Algérie. A quoi il faut ajouter 20000 militaires d’active et 40000 appelés du contingent.
J.-P. M.
POUR EN SAVOIR PLUS
« La Guerre d’Algérie », en deux tomes : 1954-1957 et 1958-1962, par Yves Courrière (Fayard, 2001). Un récit complet et passionnant. Une somme réeditée.
« Histoire de la guerre d’Algérie », par Benjamin Stora (La Découverte/Repères, 1992). Récit historique. Parmi les incontournables.
« Histoire de l’Algérie contemporaine : 1830-1968 », par Charles-Robert Ageron (PUF, 1990). La référence. Du même auteur, deux articles à signaler : « Les pertes humaines de la guerre d’Algérie » (dans « la France en guerre d’Algérie », BDIC, 1992) ; et « Complots et purges dans l’armée de libération algérienne, 1958-1961 » (dans « Revue du xxe siècle », juillet-septembre 1998).
« De Gaulle et l’Algérie », par Jean Daniel (Seuil, 1986). Recueil des articles publiés dans « l’Express » entre 1958 et 1962, avec un retour sur les « événements » vingt-cinq ans après.
« Face à la raison d’Etat. Un historien dans la guerre d’Algérie », par Pierre Vidal-Naquet (La Découverte/Essais, 1989). Recueil d’articles rédigés par l’auteur entre 1959 et 1988.
« Pour comprendre la guerre d’Algérie », par Jacques Duquesne (Perrin, 2001). L’ancien envoyé spécial de « la Croix » revisite l’histoire de l’Algérie en guerre. Fort et lucide.
« Une vie debout. Mémoires politiques », tome 1 : 1945-1962, par Mohammed Harbi (La Découverte, 2001). Mémoires d’un ancien militant et responsable FLN devenu historien, qui éclaire l’histoire de son pays.
« La Gangrène et l’Oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie », par Benjamin Stora (La Découverte/Poche, 1998). Les mécanismes de fabrication de l’oubli en France comme en Algérie.
« Un journaliste au cœur de la guerre d’Algérie », par Robert Barrat (Editions de l’Aube, 2001). Un reportage inédit, de 1954 à 1962, et une réflexion sur l’engagement. Ouvrage publié après la mort de l’auteur.
« La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962 », par Raphaëlle Branche (Gallimard, 2001). Une analyse des mécanismes de la torture pendant le conflit algérien. Très fouillé.
« La Question », par Henri Alleg (Editions de Minuit, 1958). Le premier grand témoignage dénonçant la pratique de la torture publié pendant la guerre. Un livre-événement.
« Le Livre blanc de l’armée française en Algérie » (Contretemps, 2001). Manifeste de 510 officiers généraux. Toute l’armée n’a pas eu un comportement inhumain et déshonorant. Un contrepoint utile.
« On a torturé en Algérie », témoignage recueilli par Jean-Pierre Vittori (Ramsay, 2000). Confessions d’un professionnel de la torture en Algérie. Réédition. Inédit à l’époque.
« Appelés en Algérie, la parole confisquée », par Claire Mauss-Copeaux (Hachette Littératures, 1999). Des appelés font face pour la première fois à leur passé douloureux. Témoignages forts.
« Algérienne », par Louisette Ighilahriz, récit recueilli par Anne Nivat (Fayard/Calmann-Lévy, 2001). Récit autobiographique d’une militante pour l’indépendance, son engagement, son arrestation et la torture subie.
« Journal : 1955-1962 », par Mouloud Feraoun (Seuil, 1962). Ami de Camus, l’auteur, instituteur et écrivain, sera assassiné par l’OAS le 15 mars 1962.
« L’Ennemi intime », par Patrick Rotman (Seuil, 2002). Des appelés, harkis et officiers retracent la manière dont ils ont vécu la guerre. Riche en témoignages.
« Un enfant dans la guerre », par Saïd Ferdi (Seuil, 2002). Arrêté et torturé par les Français à l’âge de 13 ans, l’auteur deviendra harki. Poignant.
« Et ils sont devenus harkis », par Mohand Hamoumou (Fayard, 2001). Histoire de ces Français musulmans victimes d’un piège historique. Un plaidoyer.
« Harkis, un crime d’Etat », par Hazni Boussad (Ramsay, 2002). Ou comment la France, à la fin de la guerre, a lâché ceux qu’elle avait compromis.
« Il faut abattre la lune », par Jean-Paul Mari (NiL, 2001). L’auteur, enfant, a grandi dans l’Algérie d’avant l’indépendance, le reporter revient trente ans après dans un pays aux prises avec les islamistes .
« L’Affaire Bellounis, histoire d’un général fellagha », par Chems Ed Din (Editions de l’Aube, 1998). L’extraordinaire aventure d’un chef de maquis du MNA qui avait passé un accord avec l’armée française.
« Services spéciaux, Algérie : 1955-1957 », par Paul Aussaresses (Perrin, 2001). Un général revendique la torture et les exécutions. Controversé et condamné par la justice.
« La Villa Susini, tortures en Algérie. Un appelé parle. Juin 1961-1962 », par Henri Pouillot (Tirésias, 2001). Dix mois dans l’enfer du plus grand centre de tortures d’Alger. Accablant.
Bibliographie établie par Nébia Bendjebbour
28 février 2002
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