jeudi 28 juin 2012

Harbi, l’armée et les faussaires de l’histoire



Par Mahdi Cherif,
moudjahid, ancien secrétaire général de l’EMG de l’ANP
Dans mon écrit paru dans le Soir d’Algérie, le 21 février 2012, concernant l’exécution sommaire du colonel Mohamed Chabani, le 3 septembre 1964 à Oran, j’ai rappelé l’avis déterminant de Mohamed Harbi, lorsque, pendant quelques heures, la vie du jeune colonel a balancé au bout du bon plaisir d’Ahmed Ben Bella.
Mohamed Harbi a mis quatre mois pour imaginer une réponse et trouver les mots pour la formuler ! Surprenante lenteur chez un homme prompt à faire dans les grandes amplitudes dès qu’il s’agit de pontifier sur les médiocrités des Algériens ! Sans doute a-t-il fallu tout ce temps au professeur reconverti dans l’exploitation juteuse des archives de la révolution qui ont été, à un moment de sa vie, opportunément à la portée de sa main pour retrouver la mémoire. Il est difficile, il est vrai, de se souvenir des actes de ses vies antérieures lorsque ce n’est pas la conviction qui trace la cohérence et la linéarité d’un itinéraire. Ou bien a-t-il attendu la disparition d’Ahmed Ben Bella de peur, sans doute, qu’il ne lui dise : «Oui, tu étais là !» Dans un plaidoyer embarrassé, l’ancien Souslov algérien du FLN et conseiller du «Zaïm», reconnaît – je n’en demandais pas tant – qu’il a requis par trois fois contre le jeune colonel. Dans le texte confié à El Watan,le 4 juin 2012, Mohamed Harbi, l’historien qui se souvient de l’histoire des autres, mais qui donne l’impression d’avoir oublié la sienne, refait le procès de Mohamed Chabani. Il rappelle, la prenant ainsi à son compte, la principale – et fausse – accusation formulée contre le chef de la Wilaya VI, et, tout en essayant de nier sa responsabilité par de laborieuses pirouettes, il affirme que ce sont des cercles occultes intéressés à le perdre de réputation qui ont inspiré mon exercice. Dans le présent écrit, je cite mes sources. Elles sont irréfutables. L’inquisiteur impitoyable et sans état d’âme, qui requérait la mort contre les opposants et qui l’obtint maintes fois, déguisé aujourd’hui en fougueux défenseur des droits de l’homme, nous explique lui-même – nous allons le relire – quelle était sa conception des droits de l’homme et de la justice au temps où il était puissant.
«Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens»* Relisons ce qu’écrit Harbi : «Sommé de quitter le commandement de la région saharienne, il (Chabani) refuse d’obéir et oblige l’administration à ne plus reconnaître l’administration centrale. Il ouvrait malgré lui un champ d’action à toutes les forces extérieures hostiles à l’Etat algérien, c’est la raison pour laquelle le journal que je dirigeais ( ! ) a appelé le gouvernement à réagir…». Relevons d’abord le «la région saharienne» au lieu de la Wilaya VI, qui ne couvrait qu’une partie du Sahara, avec ce que cela suggère comme dangers potentiels pour l’unité nationale et les richesses énergétiques, et soulignons au passage la pirouette qui fait endosser au journal ses propres décisions. Le révolutionnaire flamboyant, rattrapé par l’histoire, tente de diluer sa responsabilité et de se faire tout petit en se cachant derrière le journal (les appariteurs, les secrétaires, les chauffeurs, les pigistes, les commis aux chiens écrasés et les tâcherons obscurs de la pointe Bic). Glorieuse mise en page du rôle principal qui fut le sien à côté de Ben Bella. Passons, mais retenons au passage le terrible aveu : «Malgré lui» !... Chabani s’est donc retrouvé devant le peloton d’exécution pour un crime qu’il n’a pas commis, mais dont Harbi, cinquante ans après, l’accuse encore. Harbi écrit, écoutons-le bien : « Révolution africaine a publié trois articles, deux éditoriaux sous ma signature, le troisième intitulé, Les féodalités bureaucratiques, exprimait le point de vue de la direction du FLN, y était relaté le fond de l’affaire Chabani. Celui-ci a été jugé sans garantie de justice par un tribunal militaire les 2 et 3 septembre, et la sentence exécutée dès le procès terminé…» Le «sans garantie de justice» donne froid dans le dos. Il a été codifié dans le texte intitulé : «Les féodalités bureaucratiques» publié le 4 juillet 1964, dans Révolution africaine. Le morceau de bravoure explique et justifie la façon d’administrer la justice aux opposants. Il est de la main de Harbi sous le pseudonyme El Harrouchi (Harbi est né à El Harrouch en 1933). Après avoir longuement chargé Chabani et insisté sur la «nécessité» de la peine capitale, Harbi conclut : «(…) Ou la révolution se défend par la violence révolutionnaire ou la révolution hésite et démissionne. ‘’Nous ne sommes pas dans un débat juridique’’. Qui renonce à la violence renonce à la révolution.» Pol Pot n’aurait pas désavoué El Harrouchi. Après avoir lu cela, on peut faire grâce à Harbi des autres appels au meurtre contre les pseudos opposants dont sont remplis les éditoriaux signés par lui. Harbi, dans le puéril jeu de cachecache auquel il s’adonne pour ne pas reconnaître son écrasante responsabilité dans la mort de Chabani (le journal, puis une collégiale et anonyme direction du FLN et enfin Omar Ouzegane), convoque le témoignage de Tahar Zbiri «(…) J’ai interrogé et enregistré le colonel Tahar Zbiri sur l’affaire Chabani. A aucun moment, il n’avait évoqué mon nom (…)» Tahar Zbiri, Harbi devrait le savoir, a gardé la mémoire de ce qui se passait audessus de 1000 m d’altitude. Au ras des pâquerettes, il y avait trop de monde et trop de mochetés. Tahar Zbiri a bien raison de ne pas s’en souvenir. L’exécution de Chabani était voulue et demandée par Harbi, non que ce dernier eut été un être assoiffé de sang, ou qu’il eut un compte personnel à régler avec le chef déchu de la Wilaya VI, mais comme un jalon visible, une démarcation nette entre les tenants de la révolution socialiste, dont il s’était autoproclamé le grand prêtre, et les aspirants au grand burnous. Chabani, «le féodal», était jugé ès qualités, un peu comme les GIA condamnaient, ès qualités, le jeune appelé sans avoir jamais eu à pâtir de ses agissements.
Schizophrénie révolutionnaire L’inquisiteur trotskyste, qui avait l’oreille du raïs, avait fulminé contre Chabani non parce que ce dernier s’était rendu coupable de crime de rébellion, mais pour des raisons idéologiques. Mohamed Chabani était aux yeux du quarteron trotskyste, qui sévissait dans la proximité immédiate de Ben Bella, le représentant parfait des féodalités qui menaçaient «la révolution socialiste». C’était une vision dogmatique, froide, consciente, déterminée, mais fausse. Ben Bella, Harbi et leurs proches amis n’avaient rien compris à l’Algérie, pourtant simple, de l’immédiat après le 5 juillet 1962. Ce n’était pas de pseudos féodalités présentes partout, dangereuses et dont «les légions» de Mohamed Chabani auraient été le bras armé qui menaçaient l’Algérie, mais l’incompétence, le brouillamini doctrinaire, l’égocentrisme du dirigeant qui avait conquis le pouvoir par le coup d’Etat contre le GPRA et l’erreur de latitude des clercs gauchistes qui avaient investi la direction du FLN et qui inspiraient sa décision politique. Ce noyau dur et prépondérant était essentiellement constitué par Harbi, chantre de l’égalitarisme par le bas, inquisiteur impitoyable à l’affût d’opposants à abattre, redoutable et sans état d’âme quand il a atteint les hautes sphères du pouvoir et eu en mains le levier d’un journal influent et par Lutfallah Suleiman, le marxiste égyptien sorti tout droit des géôles cairotes par Nasser et envoyé en Algérie auprès de Ben Bella. Les militaires, qui ont condamné à mort Mohamed Chabani, ont eu à gérer, chacun, des rébellions militaires pendant la guerre de Libération, ils les ont résolues sans recourir aux exécutions capitales. Saïd Abid et sa participation efficace à la solution de la sédition du djebel Chaâmbi, Abderrahmane Bensalem confronté au bunker «Hama Loulou» et qui sut le réduire sans mort d’homme, comme il a su ramener à la raison Slimane Laceu de retour d’une mission d’acheminement d’armes, en proie à un accès de rage subite, et qui menaçait de lancer son commando sur «laârab et l’francis» de la Calle à Tamanrasset ! Sans compter une bonne demie-douzaine d’humeurs chagrines qui ont hérissé les crêtes des djebels frontaliers, de 1956 à 1960, d’ires, de dires et de délires. Bensalem et Abid savent que les coups de sang de tel ou tel chef de guerre se concluent toujours à l’avantage de l’autorité centrale et sans effusion de sang, sauf celle de Ali Hambli à l’Est et celle de Zoubir à l’Ouest pour des raisons particulières. La rébellion à laquelle s’est essayé Chabani n’a pas dérogé à la règle générale. Juste une effervescence de quelques jours, à peine un baroud d’honneur. Harbi n’a pas siégé dans le tribunal qui a condamné Chabani mais par ses appels au châtiment suprême à longueur d’éditorial ; il a créé une atmosphère empoisonnée de révolution en péril qui a rendu légitime le recours aux gibets. (Chabani n’a été que le premier des suppliciés de l’ère Ben Bella. Il y en aura d’autres. La liste existe et les témoins se souviennent). Harbi a été objectivement celui qui a facilité la tâche aux deux véritables tueurs de Chabani – Ben Bella et Boumediène – en leur fournissant le prétexte imparable «de l’atteinte à l’intégrité territoriale». Il a donné aux officiers qui ont voté la mort, par soumission à l’ukase, la bonne conscience «du devoir accompli». Harbi, en ce temps-là, je le souligne encore, tenait bien droit la première hampe de l’oriflamme idéologique du régime en se faisant le meddahinspiré du pouvoir des masses, du hammam réservé aux nantis, de la justice révolutionnaire appliquée aux opposants et des milices populaires. La deuxième hampe, l’ordonnance d’application sans laquelle la théorie demeure lettre morte, était tenue, de la façon qu’on sait, par le commissaire Hamadèche. Les solutions mécanistes prônant une justice sociale basée sur l’exclusion et la violence, aveugles devant les véritables défis d’un pays tentant de se relever d’une longue guerre de libération, qui décrètent, par le haut, la stratification en classes et en intérêts de classes d’une société recroquevillée sur des valeurs ancestrales, telles les coutumes et la religion et qui tentent d’imposer une dynamique brutale de changement sans le moindre relais dans cette même société, sont vouées à l’échec. La greffe artificielle, bulbe étranger sur le corps algérien de l’époque, ne pouvait qu’échouer. Ben Bella, tonitruant désert politique, a trouvé dans les théories semi-rigides prônées par des gauchistes pressés matière à meubler son vide. A peine arraché du terreau où il s’était introduit par l’effraction de l’entrisme, le greffon rougeâtre s’est rabougri et desséché. Mais il a eu le temps de marquer son temps et les esprits. Je n’ai nullement l’intention de disserter sur les envolées lyriques des idéologues autistes du début de la décennie 1960 – autant en emporte le vent – et il est hors de question de faire dans l’outrance en tenant Harbi pour seul responsable des copiés-collés qui ont inoculé un increvable virus à l’Algérie. Cinquante ans plus tard, les mimétismes dont certains apprentis marxistes ont été les hérauts, ont érigé, année après année, pierre après pierre, le mur de nos lamentations. Il y a des gâchis dont un pays ne se relève jamais. L’infortuné Mohamed Chabani et les autres opposants suppliciés ont été les premières victimes de l’amour inconsidéré pour le pouvoir et des idées fixes schizophréniques.
Docteur Jekyl et mister Hyde Et puis un jour, le 19 juin… Oui, entre-temps le 19 Juin – la fameuse journée des dupes – passa par là, réduisant à leur vraie dimension les prématurés de la couveuse de l’oncle Pablo, à peine barbouillés de barbe à papa et effarés de se retrouver seuls, tragiquement, à l’étroit dans l’espace de leurs incertitudes. Il y a des désillusions plus terribles que la plus étroite des géôles. Foin de révolution. Sauve qui peut ! Ceux qui ont choisi, une fois un levier de pouvoir en main, les raccourcis de la violence dite «révolutionnaire», confirmant par l’extrême leur vraie nature, connurent pendant quelque temps les culs de basse fosse ; j’étais de ceux que Abdelaziz Zerdani avait quotidiennement harcelés afin que j’agisse auprès de Zbiri pour qu’il obtienne, sinon la clémence pour nos idéologues bien marris, au moins l’adoucissement de leurs conditions de détention. Harbi, une fois que Kasdi Merbah lui eut encadré la poterne de «l’évasion», s’en va, penaud, sans pouvoir cette fois-ci prendre les archives, surtout celles où figurent ses confessions chez la SM. Il changea de registre, abjura sa première communion et entra en éclipse, faisant la preuve par «terre neuve» qu’il n’était apparenté aux authentiques trotskystes que par l’hématome rougeâtre du «kyste». D’autres, en Algérie ou ailleurs, les réalistes qui ont opté pour «un programme minimum» et qui ont su revenir à la charge malgré les incompréhensions, les rejets, les calomnies, les répressions ou les exils, ont fini par gagner le droit à l’existence et à la parole, respectés même par leurs plus féroces contradicteurs. La cohérence dans les idées et le courage face aux épreuves sont toujours payants. L’ancien champion de la réduction des problèmes complexes de l’Algérie en facteurs s’insérant dans une équation simple par la catégorisation et infaillible par la coercition, s’est reconverti, un ton plus bas quand même, dans l’enseignement de l’histoire à ceux qui ne la connaissent pas. Il leur apprit, avec des mots savants, que l’ALN était composée d’ignares et de rustres. La mode aidant, il embrassa la carrière du droit de l’hommisme, celle des gesticulations guerrières du droit d’ingérence fondé sur les mots au sens perverti, usinés dans les ateliers cyniques où travaillent les artisans émérites des «printemps arabes» où, de Damas à Tunis, en passant par le Caire et Tripoli, la mort danse la farandole. Au fond, à bien relire la prose étalée dans El Watan du 4 juin 2012, du spécialiste en histoires tristes de son pays, on découvre que sa seconde préoccupation, après celle qui tend à nier le rôle qui fut le sien dans l’affaire Chabani, est la réaffirmation de ses positions connues sur l’armée algérienne. Pour se ménager encore une fois — motion Elkabbach — les rescousses utiles des grosses pointures de la démocratie appliquée aux autres selon le modèle libyen, il avance qu’il est victime de calomnies destinées à ternir son image par un Mahdi Chérif qui roule pour on ne sait qui. N’est-il pas, lui Harbi, l’homme qui dénonce les atteintes aux droits de l’homme et les crimes de torture ? Il fait feu par les ingrédients qui ont fait, il y a quelque temps, la fortune des concepteurs de l’inusable «qui tue qui ?». Par une embardée acrobatique, il suggère qu’il est victime d’un tir de ricochet provenant de cercles proches du général Nezzar. On veut, à ce qu’il paraît, lui faire payer son noble combat contre la torture. «(…) Le recours au passé n’est ni politiquement innocent ni fortuit. Il s’intègre à la campagne en faveur du général Nezzar organisée par le Soir d’Algérie (…)», affirme Harbi. Merci pour le Soir d’Algérie et merci pour les éminents membres de l’intelligentsia algérienne qui ont soutenu Nezzar, victime d’un guet-apens organisé de main de maître en Suisse. Le pavé en page 2 du Soir d’Algérie, du 5 juin 2012, a la consistance d’un pavé de schiste dense, aiguisé et tranchant. Certaines outrances de langage ne méritent qu’un jet de pierre. L’écrit de Mahdi Chérif, mon écrit, Harbi l’affirme haut et fort, est donc un tir provenant de l’entourage du général Nezzar. On découvre, on s’en doutait un peu – et désormais les choses sont nettes – que Harbi est partie prenante dans les cabales fomentées d’une façon récurrente contre le principal artisan de l’arrêt du processus électoral qui a empêché le FIS d’empocher l’Algérie. Je ne suis pas mandaté pour défendre Khaled Nezzar ; il s’est toujours bien défendu tout seul. Je viens d’écrire tout seul. Je retire. Le 10 mai écoulé, beaucoup d’Algériens ont voté Khaled Nezzar. Le résultat du scrutin a été, d’une certaine manière – je suis de ceux qui l’interprètent ainsi – l’approbation de l’acte nezzarien de janvier 1992. Je viens d’inventer un mot : «nezzarien». Il figurera tôt ou tard dans le lexique. Il est déjà chanté «en Caire». Libre à Harbi de dire, et il le dira sans aucun doute : «Quelle belle solidarité de caste !» Je ne suis pas un proche de Nezzar. Pendant les évènements du 14 décembre 1967, qui m’ont valu les galères, il était d’un côté et j’étais ailleurs. Mais plus tard, lorsque l’Algérie s’est trouvée face aux périls, le sens de l’intérêt national a gommé les divergences et a rapproché les fils de l’ALN autour de l’ANP – leur œuvre commune – mobilisés, toutes générations confondues, pour l’Algérie. J’ai lu l’article de l’excellent Salah Guemriche paru dans le Quotidien d’Oran, le 14 juin 2012. Il avance, à propos de l’absurdité de certains destins, que «tout acte de vigilance citoyenne et toute critique d’un système passé maître en manipulation relève du devoir de tout intellectuel digne de ce nom…». Je souscris pleinement à la sentence et j’insiste, pour ma part, pour écarter toute équivoque, que l’intellectuel doit être à l’avant-garde pour défendre tout simplement l’Etat de droit. Harbi a le droit, et surtout le devoir, de faire campagne pour les droits de l’homme et du citoyen. J’ajoute, en plagiant un tantinet Guemriche (guillemets) : «Mais passer sans état d’âme du lynchage médiatique dont furent victimes d’autres Algériens» au statut de moraliste et de censeur, une fois qu’on a quitté le pouvoir, est assurément une étrange métamorphose. Le lecteur me pardonnera, avant de revenir aux sentiments que nourrissent à l’égard de l’armée algérienne certains intellectuels algériens, in céans ou auto-exilés, de vider d’abord les deux mandats de dépôt que m’a notifiés le procureur Harbi : Les trois coups d’Etat que j’aurais perpétrés et ma complicité dans la rétention des restes des chahids Amirouche et Si El Haoues. Trois coups d’Etat ? Question au docteur Bonatiro : le ridicule peut-il être mesuré à l’échelle de Richter et, si oui, à partir de quel degré peut-il tuer ? Puisque nous sommes dans le registre de l’ironie, autant l’effeuiller jusqu’au bout. Voyons cette variante : le premier coup d’Etat vous a donné le pouvoir, le deuxième vous a empêché de continuer d’en mal user et le troisième devait vous tirer de la mauvaise situation où vous vous êtes mis. Pourquoi donc me reprochez-vous ma charité ? La rétention des restes des deux martyrs ? Harbi tente d’imprimer un effet boomerang à mes révélations et essaye d’ouvrir une polémique malvenue, et surtout indécente, sur un sujet douloureux entre tous. Il en sera pour ses frais. Bic). Saïd Sadi a écrit un livre émouvant et très documenté sur la vie et le parcours patriotique de Amirouche. Saïd Sadi sait très bien qui était Ben Bella, ce qui se passait autour de Ben Bella et qui étaient les conseillers de Ben Bella. Il n’a pas voulu aller dans cette direction par honnêteté intellectuelle lors de ses investigations sur les tenants et les aboutissants de cette affaire. Pas de preuves ! La terrible tache noire de la séquestration des restes n’a pas encore livré tous ses secrets. Nourredine Aït Hamouda et Saïd Sadi savent qui étaient les militaires qui ont découvert les dépouilles, comment ils ont agi et quelles étaient leurs possibilités et leurs limites d’action. Sadi, quoi qu’il ait pu affirmer un jour, ne s’est jamais trompé de peuple.
Le traumatisme originel Comment peut-on être aveugle quand on ne souffre pas de cécité ? Certains plateaux de télévision outre-Méditerranée ressemblent à des divans de psychanalystes. On découvre alors, au gré des étranges logomachies de la gent intellectualisée conviée pour légitimer les verdicts précieux assénés sur l’Algérie et les prédictions de l’inéluctable chaos qui l’attend, combien on peut être aveugle alors qu’on ne souffre pas de cécité. Question de vision. Les choses apparaissent déformées quand on les regarde à travers l’écran opaque d’une carte de séjour. Je sais, Harbi, au contraire des autres canassons (tiens, encore Nezzar) qui font partie de l’attelage, n’a pas besoin d’officier traitant ou de montrer «patte verte» pour obtenir droit de cité là où il le désire. Ses titres universitaires sont reconnus. La pathologie dont souffre Harbi est d’un autre ordre. Elle remonte à l’époque où il était resté sur le quai quelque part chez lui-même, en lui-même, en orbite autour de lui-même, emmailloté par les fils velus de l’araignée, celle qui se tapit toujours au bord du Rubicon quand il est en crue. Le carrefour des années 1950 était bien périlleux. Harbi a passé sous silence, dans Une vie debout, son grand silence au moment du grand appel. Il salivera toute sa vie sur les états de service de ses compagnons de lycée qui ont eu le courage d’aller au-delà du piémont, d’où ses jugements dévalorisants — c’est le moins qu’on puisse écrire — sur l’ALN. Il y a des non-accomplissements qui minent pour la vie, une vie. Ce sont de vrais traumatismes. Et le mal s’ajoutant au mal, Harbi croisa un jour le chemin du commandant Mendjeli. Avril 1960, l’homme de gauche était venu prêcher, sur la frontière Est, la révolution à ceux qui la faisaient. Son discours, sans points ni virgules, était un mélange de Abane : «Nécessité d’une organisation d’avant-garde liée aux combattants et au peuple et dirigeant le pays de l’intérieur», un peu de Fanon : «Coupure brutale entre les forces vives de la révolution...», et beaucoup de Pablo (alias Michel Raptis qui créa en 1944 le PCI, Parti communiste internationaliste) : «Lutte contre les tendances opportunistes…» Sa leçon fut comprise comme une tentative de tamisage des rangs de la révolution pour ménager les premiers rôles à ceux qui pensaient être les seuls à pouvoir «définir les mots d’ordre et à encadrer l’éducation politique». Les membres de l’état-major général ont remis à sa juste place l’aspirant maître à penser. Venir faire un cours de stratégie appliquée à ceux qui étaient confrontés au réel et qui connaissaient l’état des lieux de la révolution en ces débuts de l’année 1960 (reprise en main difficile de l’ALN après la disqualification du COM, développement des opérations Challe sur les wilayas combattantes, fermeture quasi hermétique des frontières, regroupement massif des populations et mobilisation sans précédent des lobbies ultras en Algérie) était un peu présomptueux. C’était toute la différence entre les faiseurs de révolution en éprouvette aseptisée de laboratoire et ceux qui étaient dans le chaudron en ébullition du terrain. Mendjeli, l’irascible commandant Mendjeli, au revers de la main douloureux, avait dû faire un gros effort pour contrôler les pulsions de sa dextre. Harbi a eu de la chance, l’ulcère de Si Ali était, ce jour-là, en période de somnolence. Dans les Archives de la Révolution algérienne (document n°89, page 410), Harbi donne une version arrangée de l’incident.
La problématique de l’ANP Au lendemain de l’indépendance, l’armée échappait au contrôle total de Ben Bella et de son groupe. Houari Boumediène n’était pas convaincu par la politique du soi-disant «pouvoir des masses». C’était pour lui la feuille de vigne qui cachait les attributs impudiques du pouvoir personnel. Face aux réticences de l’opinion et aux oppositions déclarées de ceux qui l’ont aidé à défaire le GPRA, Ben Bella, conseillé par Harbi, imposa la création d’une milice populaire. Mise rapidement sur pied, elle commença à recruter et à recevoir, par bateaux entiers, des armes. Sa mission de gardienne de l’orthodoxie idéologique, telle que définie par Harbi, et de contre-poids militaire à l’ANP était évidente. On connaît la suite. Au cours de la décennie 1990, après son intervention pour briser la dynamique qui conduisait le pays à l’abîme, l’armée algérienne, accusée d’être «un corps conservateur, réactionnaire, prompt à user de violence pour protéger ses intérêts ou ceux des oligarchies dont elle est la garde prétorienne », est devenue l’obstacle qui fait barrage au «printemps » algérien, selon Saint Bernard. Les commanditaires cachés de la déstabilisation de l’ANP activèrent des relais qui se constituèrent en une redoutable coalition : institutions chrétiennes, ONG plus ou moins catholiques, personnalités emblématiques de l’intelligentsia française influencées par des analyses consciemment orientées d’une poignée d’intellectuels aigris et par la peinture de l’apocalypse algérienne racontée par de blanches et innocentes icônes de l’ex-FIS. Pourquoi interpeller les petites mains de la «régression féconde» et autres fariboles ? L’étal des bons apôtres, malgré le fardage et la criée, n’a pas connu d’affluence. Mais lorsqu’il s’agit d’un homme qui se revendique de grands principes et de grandes idées et qui affirme qu’il a toujours eu de l’ambition pour son pays, le mélange des genres est intolérable. Le palier annonciateur de l’escalier étroit, sombre et glissant est souvent bien éclairé. Harbi, tête de liste du parti du chaos algérien annoncé à chaque pleine lune, complice des compassions suspectes envers les tueurs, répercutant dans tous les Sant’Egidio de la planète les sommations à son pays qui ressemblent à des tirs à balles réelles. Vocations affichées et vacations acceptées, mues de mots et mutations de sens. Chemins chaotiques… Fiction ? Simple sujet de philo ? Non, drame pathétique des sorties ratées. Banal et triste destin algérien. Hélas !
La ligne de démarcation L’armée algérienne a résisté. Nous avons résisté. J’écris le mot «nous» avec une intense émotion. Il y a huit jours, j’ai présidé les travaux du 3e congrès de l’Organisation nationale des retraités de l’ANP. Dans la salle, au gré des interruptions de séances, des groupes se formaient. Parfois, parvenait à mes oreilles un nom. Le nom d’un compagnon mort, assassiné par l’hydre infernale. La minute de silence observée avant l’ouverture, et dédiée aux morts de l’Algérie, est propice à l’émotion et à l’évocation. Des noms… Du général à l’homme de troupe. Tous les niveaux de la hiérarchie. Des morts par milliers. L’armée algérienne est restée debout. Lorsque Harbi interroge, provocateur : «Depuis quand une armée s’identifie à ses chefs avant de s’identifier à la nation ? S’agit-il d’une caste ou d’une institution au service du pays ?» se rend-il compte de la gravité de ses propos ? Vingt ans de résistance et de sacrifices sont réduits à un combat de mercenaires, mobilisés pour les intérêts de quelques parrains. Ce n’est pas Nezzar que Harbi vilipende, ce n’est pas la SM ou le DRS ou une quelconque police politique qu’il cible, Harbi s’attaque à l’ANP en tant qu’institution nationale, rejoignant ainsi les rangs de ceux qui, patiemment, insidieusement, par la sape sournoise de la défense des droits de l’homme, tentent de la découpler de notre peuple pour le réduire à merci. Pendant le fameux procès de Paris que Khaled Nezzar a intenté à ses détracteurs, Harbi est allé encore plus loin dans l’offense : «Tous les peuples du monde ont une armée. En Algérie, l’armée possède un peuple.» Après avoir proféré de telles énormités attentatoires à l’honneur de tous ceux qui ont porté un jour l’uniforme de l’ANP, Harbi peut encore venir commémorer des dates et parler d’histoire. Juste quelques petites précisions avant de revenir à mon sujet. J’ai fait partie du groupe de militaires qui après s’être opposés à la dictature de Ben Bella, se sont insurgés contre la dictature de Boumediène qui l’a remplacée. J’ai souffert des conséquences de mes choix. Je gagne ma vie à la sueur de mon front. Je ne défends aucun privilège et je ne roule pour personne. Je ne défends pas, sous un prétexte grandiloquent, le système qui prévaut en Algérie ou le régime actuel. Les jeunes Algériens ont suffisamment de discernement et de ressort pour imposer, tôt ou tard, les changements que le pays attend. La première pierre qu’ils devront polir et cimenter sera celle d’un véritable Etat de droit. Ils y parviendront s’ils savent imposer le changement sans remettre en cause la stabilité du pays. Aucune évolution positive ne sera menée à terme et rendue pérenne si la colonne vertébrale du pays – l’armée algérienne – est ébranlée. Or, c’est de cela justement dont il est question dans les diatribes récurrentes dont l’armée est l’objet. Dans un monde compliqué régi par la loi du plus fort, dans un contexte géopolitique local perturbé, au moment où des bouleversements inattendus risquent de se produire, l’armée algérienne demeure la garante de notre survie. Le consensus sur cette question est la ligne de démarcation qui sépare la zone d’occupation tenue par ses pourfendeurs, de la zone libre où se placent ceux qui ont une vision nationale des enjeux. Pour l’édification de ceux qui espèrent casser le lien qui existe entre l’ANP et le peuple algérien, il est peut-être utile de rappeler cette réalité : l’ANP n’est que la partie visible de la véritable armée algérienne. Je laisse à Harbi le soin de déchiffrer le sens de cette phrase. Un rappel pour l’aider : l’armée algérienne n’a pas été constituée selon le modèle qui a prévalu pour d’autres armées à travers le monde. Elle est née – immédiatement – multiple, le même jour, partout à travers l’immense territoire national. Chaque chaumière du pays profond lui a donné avec un de ses fils, un peu de sa substance. Ainsi elle a été, dès sa venue au monde, authentiquement populaire. Ainsi elle a pu tenir tête à une force qui avait la tradition de la chose militaire, l’expérience d’innombrables champs de bataille et une considérable puissance mécanique. Les conditions de sa venue au jour la marqueront à jamais. Après l’indépendance du pays, au-delà des conjonctures, des péripéties et des erreurs de celui qui a été à sa tête dans les années 1960 et 1970, elle a su préserver l’essentiel : demeurer populaire. Elle a pu le rester grâce au service national et à sa présence aux côtés du peuple dans les grandes épreuves : les tremblements de terre, les inondations, le terrorisme, les froids sibériens ou encore lorsqu’elle a veillé à ce que le dialogue s’instaure entre les Algériens au lieu d’imposer la solution «des bruits de bottes et des gradins des stades». Les Algériens ont de la mémoire. Tôt ou tard l’histoire, lorsqu’elle ne sera plus l’otage de Harbi et de ses amis, reparlera de ce qu’ont accompli dans la discrétion et la modestie ou le panache et la morgue, les hommes qui ont été immenses sur ces champs d’honneur. Leur Histoire, n’en doutons pas, aura les accents de l’épopée.
M. C.

dimanche 13 mai 2012

Rencontre avec l’écrivain Zira Ath Habu

Cette femme écrivain kabyle est l’auteur de plusieurs ouvrages littéraire dont : L’ode à l’espérance (Recueil de nouvelles) Paru en mai 2011 et Kabylie ou l’identité martyrisée, edition Persée, paru en décembre 2009.
13/05/2012 - 00:04 mis a jour le 13/05/2012 - 00:03 par Amghid Ilelli
        
D’une humilité comme seules les femmes élites de notre société savent l’être, Zira n At Habu tenait à s’enquérir des activités du MAK et de son évolution sur le terrain depuis sa création le 05 juin 2001.
Les discutions fructueuses ont porté sur l’état des lieux, les voies et les moyens à mettre en œuvre pour mener le bateau kabyle à bon port. Cette femme de lettre, prolifique et féconde, tout en exprimant son indignation devant la situation alarmante que traverse la Kabylie sur tous les plans, a tenu à faire des propositions pour aider le MAK à aller de l’avant dans sa mission libératrice.
Inévitablement la discussion a débordé sur la dernière mascarade électorale organisée par ceux qui tiennent l’Algérie en otage depuis 1962 et les taux de participations fictifs déclarés par un régime infâme à l’agonie qui croyait ainsi gagner un sursis pour sa survie. Le président du MAK a rassuré son interlocutrice du fait que nos braves Kabyles sont restés fidèles à eux mêmes et ont répondu favorablement et massivement au rejet auquel a appelé le MAK.
Zira n At Habu, a tenu à féliciter le MAK pour les avancées enregistrées sur les plans national et international dans des conditions plus que difficiles. Elle a réitéré son soutien indéfectible pour le mouvement et le Gouvernement provisoire dont elle salue l’action sur le plan diplomatique.
La délégation du MAK a exprimé sa sympathie et son amitié à cette femme pour son engagement et tout l’intérêt qu’elle porte et qu’elle nourrit pour une Kabylie libre et autonome.
Il est à rappeler que l’écrivain Zira n At Habu a participé à travers une communication écrite à la convention nationale kabyle organisée par le MAK les 1er et 2 Avril 2011. Voici sa contribution :
Le monde arabe se soulève...excepté l’Algérie. Pourquoi ?
En tout cas, ce n’est pas parce que tout va bien dans ce pays ! Seulement, les marches prévues par quelques démocrates pour appeler au changement démocratique, ont été empêchées, à chaque fois, par un impressionnant service d’ordre, épaulé par des voyous, lesquels avaient été enrôlés pour agresser les manifestants, tant verbalement que physiquement.
Aucun intellectuel algérien, non kabyle, n’a jamais eu l’honnêteté de dénoncer le comportement qui prime dans la société algérienne, à savoir l’inexistence de solidarité envers les démocrates, qu’on appelle "la minorité", et, en revanche, un excès d’empathie pour tout combat estampillé "arabo-islamique". Désigner les choses comme elles sont réellement eût été une attitude majeure qui aurait fait réfléchir, plutôt qu’elle n’aurait créé des "divisions" au sein de populations qui ont été, à dessein, laissées dans le flou, et qui ont fini par adhérer à "l’ignorance" par militantisme - cela crée une unité nationale - !
De temps à autre, quelques Algériens manifestent pour demander des logements ou contre l’augmentation du prix des denrées alimentaires ; mais jamais pour dénoncer les dépassements graves du Pouvoir, en ce qui concerne les libertés civiques. Et pour cause, les Algériens -les peuples arabes, en général- ont été modelés pour reconnaître dans la dictature la seule forme de gouvernance d’un pays (arabe). En retour, celle-là aurait dû voir, dès le départ, aux droits les plus élémentaires de ces citoyens qui ne demandent rien d’autre que des satisfactions matérielles.
Désolée, mais fondamentalement, nous n’avons pas, avec tous ceux-là, la même façon de concevoir la chose publique ; et nous refusons que le fait d’avoir combattu ensemble le colonialisme français doive constituer, comme le prétendent certains (Yasmina Khadra, par exemple), un lien indéfectible qui équivaut, en ce qui nous concerne, au resserrement des chaînes du boulet d’esclavage qu’ils nous condamnent à porter. Parmi les pays dits "arabes", l’Algérie est le pays le plus cadenassé. Cadenassé, il l’est politiquement et idéologiquement. La société l’est d’autant plus mentalement.
Afin de décourager les éventuels démocrates non kabyles, qui voudraient, par extraordinaire, se porter aux côtés des Kabyles, les tenants du pouvoir ont des mots-clés, telles "la traîtrise" et "la manipulation néo-colonialiste". Une chose est sûre, la revendication identitaire kabyle est antérieure à la colonisation française. C’est pour illustrer cela que j’ai situé le contexte de mon ouvrage, intitulé "Kabylie, ou l’identité martyrisée", au dix-huitième siècle. Mon histoire met en scène des Kabyles en butte à l’impérialisme arabo-islamique qu’ils n’ont accepté à aucun moment de l’histoire.
Les tenants de l’arabo-islamisme, lassés à la longue de notre résistance, nous avaient laissé une relative liberté de nous autogérer, pourvu que nous restions "chez nous", dans nos montagnes, et que nous ne contaminions pas les autres régions par notre conception démocratique de la vie sociale.
À la perte du royaume de Grenade - ce qui équivalait à la fin de la mainmise de l’arabo-islamisme sur un petit bout d’Europe -, les chefs de provinces et les autorités religieuses algériens, de peur de la contagion hispanique, et aussi pour ne pas perdre leurs prérogatives, firent appel à la Turquie afin qu’elle les aide à défendre l’idéologie arabo-islamique. Ce sont les Turcs qui détruisirent notre autonomie par leurs incursions dans notre pays et l’implantation du principe des Marabouts, lesquels seraient chargés d’islamiser le peuple kabyle...
Aujourd’hui, l’honneur de sortir la Kabylie du colonialisme le plus négateur qui soit à notre encontre, incombe à tous les Kabyles qui se targuent de fidélité à notre identité, qu’ils soient descendants de Marabout, ou pas.
La seule voie de salut est l’autonomie de la Kabylie, qui garantira la survie de notre peuple, avec son identité et sa liberté, qu’elle soit confessionnelle, ou de pensée.
Alger, pour Tamurt.info, Amghid Ilelli

mercredi 18 avril 2012

LE DRAME ALGERIEN DANS LA COMMUNE MIXTE CAP AOKAS

La commune mixte de l'Oued Marsa appartient à
l'arrondissement, de Bougie. Elle couvre plus de 55.000 hectares,
occupés en grande partie par des massifs forestiers, aux ravins
profonds, aux crêtes élevées et abruptes. Sa limite nord est fixée
par les rivages méditerranéens, formant l'admirable baie qui,
partant de Bougie, se dirige vers ZiamaMansouria,
et est
desservie par le beau boulevard front de mer si fréquenté par le
tourisme.
Cette voie front de mer constitue la partie terminale de la route
nationale n° 9 qui relie Sétif à Bougie, en passant par Fermatou, El
Ouricia, Amouchas, Takitount, Kerrata, les gorges du Chabet El
Akra, Souk El Tenine, Cap Aokas et Oued Marsa.
Cap Aokas est le siège de l'administration de la commune
mixte. Un bordj y réunit le personnel et les bureaux, à 10
kilomètres de Souk El Tenine, point d'intersection de la route
venant des gorges et du chemin arrivant de Djidjelli, par Cavallo et
Ziama Mansouria.
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
Pendant une semaine, les Français des fermes, des exploitations
minières et des habitations isolées en plein bled, appelés en hâte
au bordjrefuge,
eurent leur part d'émotions et de tristesses. Ils
vécurent des heures d'angoisses et de douloureuses surprises.
Fort heureusement pour la population menacée, la commune
était administrée par un chef qui sut s'entourer de collaborateurs
animés de l'esprit du devoir.
C'est dans les moments de dangers collectifs que se révèlent les
tempéraments et les caractères.
Mme Brives, née Nicolas épouse de l'Administrateur en chef,
fit preuve de courage et de dévouement en recevant les familles
des réfugiés, et nombreux sont ceux qui font l'éloge du réconfort
qu'elle apporta à tous par son accueil et son exemple.
Les journaux sont restés muets sur le drame qui, cinq jours
durant, s'est déroulé à l'est de Bougie, et au cours duquel près de
450 personnes n'ont échappé à un massacre que grâce à une
organisation qui a su donner son résultat maximum. Il y a eu des
morts à déplorer comme partout où a sévi la vague de barbarie
dans ce que l'on est convenu, d'appeler le « Constantinois ».
Plusieurs doivent à leur imprudence le sort dont ils ont été les
malheureuses victimes. Ceux qui ont répondu à temps à l'appel qui
leur était adressé par les chefs de la commune ont eu la vie sauve.
A Cap Aokas, comme ailleurs, en beaucoup d'endroits, la
démonstration a été faite que le courage français a su éviter le pire,
chaque fois qu'il a été possible aux victimes de se retourner pour
faire face à l'ennemi.
Parmi les hommes qui ont apporté à M. Brives une
collaboration utile, souvent précieuse, nous devons citer : son
adjoint, M. Hosteins, dont l'activité courageuse et l'initiative ne se
démentirent pas un instant ; un colon, M. Aubertier qui est
lieutenant de réserve et fut chargé, à ce titre, de l'organisation de la
102
défense locale ; et de nombreuses personnes, civiles ou militaires
qui ont dû faire l'objet, nous n'en doutons pas, de citations
élogieuses.
L'éveil avait été donné, le 8 mai, vers 17 heures, par le passage,
à Cap Aokas, de M. Deschanel, entrepreneur de transports, dont la
voiture était suivie par un car de secours, demandé à Bougie pour
remplacer le car de service attaqué en cours de route.
A 20 heures, M. Deschanel revenait, remorquant le car
endommagé. Il donna des détails sur l'attaque qui s'était produite
aux Amouchas, et les rumeurs qui couraient sur les événements de
Sétif. Un voyageur, descendu à Cap Aokas, confirma le récit.
Le 9 mai, de bon matin, on prenait des dispositions de défense.
On prévenait les Français des fermes environnantes, en leur
conseillant de se replier à la moindre alerte. Le bordj était mis en
état de défense et d'approvisionnements. Ce bordj est composé de
plusieurs immeubles. C'est un groupement de constructions
désigné sous le nom général de Cité Administrative d'Aokas.
Un détachement militaire passe. Il se dirige sur Souk El Tenine,
embranchement de la route de Kerrata. Une reconnaissance de
gendarmerie va prospecter les gorges de l'oued Agrioun. Elle
constate que le pont qui enjambe le gouffre, à 4 kilomètres de
Kerrata, est fortement occupé par les rebelles. M. Brives est de
l'expédition.
A 11 heures, deux cars, transportant deux sections de tirailleurs,
s'avancent dans les gorges. Ils rencontrent un barrage. Il y a un
arrêt forcé. On échange des coups de feu. Par les crêtes escarpées,
les rebelles encerclent le détachement qui, vers 14 heures, se
dégage difficilement et revient à Souk El Tenine, occupé par des
gendarmes.
A 16 heures, la population française de la commune mixte est
réunie au bordj administratif d'Aokas. Des armes et des munitions
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
sont distribuées aux hommes. Des groupes sont formés pour
assurer un service de patrouilles.
On déplore l'absence de plusieurs personnes. La nuit, consacrée
à l'organisation de la défense, est assez calme.
Le 10 mai, on apprend que des concentrations d'émeutiers ont
lieu à peu de distance. On évalue leur effectif à un millier de
personnes environ.
On conserve la communication sur Souk El Tenine. A 9 heures,
des coups de feu y ont été tirés sur la troupe.
De Mansouria, M. Clanet, adjoint spécial, a annoncé, la veille,
qu'ayant obtenu des armes de guerre, il assurait la sécurité du
centre par des patrouilles.
C'est le 10 mai que deux compagnies, avec les capitaines
Arbola et Guarzulino, se portent au secours de Kerrata, en partant
de Souk El Tenine. Il va falloir percer le passage des gorges, et il
faut s'attendre à des résistances. On est décidé. On échange des
coups de feu. Tout à coup, on voit arriver un détachement de la
Légion Étrangère. On a donc fait la jonction. Kerrata est délivrée,
après un drame horrible, nous l'avons raconté.
On liquide les dernières résistances des rebelles dans les
gorges. Un légionnaire est blessé mortellement... Vers 15 h. 30, on
entend des coups de feu tirés à deux kilomètres de Souk El Tenine.
Dans la soirée, Cap Aokas semble encerclé.
Des patrouilles partent en reconnaissance. Elles reçoivent des
coups de feu et se replient. L'une dirigée, par M. Hosteins,
constate que les routes sont coupées, que des fils téléphoniques,
sectionnés, traînent à terre. Le bruit court que 2.000 émeutiers
s'apprêtent à attaquer Cap Aokas. Le village est évacué par tous les
français. Des groupes militaires arrivent pour participer à la
défense. La cité administrative abrite 412 civils dont 71 enfants,
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sous la direction de Mme Brives, qui trouve à chacun sa place et
dont le mari seconde la défense de Souk El Tenine ; on répartit les
salles de la maison commune et des appartements aux réfugiés. On
campe au mieux. Les enfants sont particulièrement entourés. Le
ravitaillement a été assuré par les fermes des environs, au moment
de leur évacuation, à titre bénévole, et aussi par des réquisitions
opérées partout où la chose a été possible.
En l'absence de son chef, M. Hosteins, Administrateur en
second, a organisé des patrouilles auxquelles il participe avec une
activité remarquable. M. Chambon, chef du secrétariat, a été
délégué au téléphone qui ne tarde pas à être coupé.
Le 10 au matin, le souspréfet
de Bougie, M. Byr, a réussi à
arriver à Souk El Tenine. Il revient à Bougie après s'être rendu
compte de la situation. Il passe à 11 heures à Cap Aokas. Arrivent,
en même temps que lui, M. Brives et les Français évacués de Souk
El Tenine.
Après son départ de Cap Aokas, où il ne fait que s'arrêter,
survient, vers midi, un détachement de 13 fusiliers marins. Le
camion qui les transporte aide les gendarmes restant à Souk El
Tenine à rejoindre le centre de la commune mixte.
Journée chargée, grosse d'inquiétude. La situation est vraiment
grave. Le téléphone ne fonctionne plus. On a dû couper la ligne.
Du bordj, on a envoyé des indigènes dévoués porter vers
Bougie des rapports indiquant l'accroissement du danger. Mais les
émissaires pourrontils
passer ? Ne jugerontils
pas prudent de ne
pas accomplir leur mission et de s'arrêter en route ?
Un modeste infirmier, âgé de 35 ans, nommé Salhi Saïd, se
présente aux chefs de la défense. Il expose que si les chemins sont
coupés, il en reste un, accessible, celui de la mer. Il offre de
franchir, à la rame, sur une barque légère, les vingtcinq
kilomètres
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
qui séparent Cap Aokas de Bougie ; le succès d'une pareille
entreprise est douteux. Mais le danger est pressant. On accepte,
Salhi Saïd affronte l'obstacle.
La nuit approche. Les heures passent, rapides, dans une action
intensive de défense collective.
On signale bientôt l'attaque d'un camion. M. Hosteins part en
reconnaissance, avec cinq hommes, constate que la route de
Bougie est barrée près d'une ferme indigène, par un gros
eucalyptus ; que les fils téléphoniques sont sectionnés au même
endroit. L'Administrateur rentre à 19 heures au bordj, avec un
couple qui a été arrêté par les émeutiers, puis relâché : une femme
française mariée à un indigène et leur enfant. Le mari a excipé de
sa qualité de musulman, on lui a rendu la liberté...
Le lieutenant Aubertier, qui patrouille à l'extérieur, est rappelé.
On fait replier tous les Européens occupant encore les fermes,
ainsi que les personnes logeant à l'hôtel du Cap, situé en dehors de
l'agglomération.
On constate des résistances :
M. Aubertier Henri, conseiller municipal, refuse d'abandonner
sa ferme. Il se fait fort d'organiser sa défense avec son personnel.
On saura, plus tard, qu'il n'a pas été inquiété. Les émeutiers ont
sans doute pensé qu'il s'était replié au bordj. Ou la crânerie dont il
a fait preuve leur en atelle
imposé ?
M. et Mme Piras, restaurateurs, veulent également rester chez
eux. Ils habitent la petite agglomération des falaises, à environ 7
kilomètres de Souk El Tonine, en direction de Mansouria. Dans la
nuit du 10 au 11 mai, ils ont été attaqués. M. Piras a été tué. Sa
femme a été blessée à la fesse droite par deux coups de feu. Elle
s'était sauvée. Après le drame, elle a été rétablie par un séjour de
deux semaines dans une clinique. Elle est depuis, partie au Maroc.
Pendant plusieurs jours on a été inquiet à Cap Aokas, sur le sort
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du brigadier Leca, qui n'avait pas obtempéré à l'invitation de repli
qui lui avait été adressée.
Il avait rejoint Bougie par ses propres moyens.
Des falaises, n'ont pas voulu rejoindre : Mme et M. Vergnau,
Mme et M. Samson. Les grottes des falaises leur procurèrent,
heureusement, un abri qui aurait bien pu être insuffisant. On est
sans nouvelles de Mme et M. Lambert, garde forestier, qui ont été
prévenus du danger.
A 20 heures, on était très près de la chute du jour, on entend des
avions. On leur fait du bordj, des signaux. Les grands oiseaux
circulent et mitraillent, dans les environs, les attroupements qu'ils
peuvent apercevoir. Cela décongestionne les maisons assiégées.
Puis on perçoit une canonnade. C'est un aviso qui dégage, par
un tir précis, le village et le réduit défensif.
C'est là, sans aucun doute, le résultat de la tentative du brave
infirmier, dont on n'a pas de nouvelles.
La nuit arrive. On est plus rassuré. Mais les patrouilles
circulent, dans l'obscurité. Il faut éviter une surprise. On se rend
compte que les assaillants ont reculé. Ils sont maintenant à 7 ou
800 mètres du bordj. On entend quelques coups de feu.
Le bureau de poste a été évacué. A minuit les émeutiers se
rapprochent ; on en voit à 50 mètres des murs du réduit défensif.
On se prépare à toute éventualité.
Le reste de la nuit est calme. On ne peut plus causer, au
téléphone, avec Mansouria.
La journée du 11 mai est consacrée à de nombreuses
patrouilles, dirigées par M. Hosteins. On éloigne les rebelles. On
rétablit des liaisons téléphoniques grâce à des monteurs des P.T.T.
qui ont dû abandonner leur camionnette sur la route. Un car a
également été laissé en hâte par 30 fusiliersmarins,
arrivés la
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
On recueille un marin qui a pu échapper en simulant la mort. Il
est nu. On lui a enlevé ses effets d'habillement. On trouve, dans le
car brûlé, un cadavre carbonisé : le deuxième soldat disparu...
On échange des coups de feu avec des petits groupes de
rebelles. Des tirs efficaces sont exécutés par la marine. On signale
des morts chez les insurgés.
Au large, s'avance le « Chasseur 94 ». Il ne peut aborder. Mais
un homme saute à la mer et, à la nage, apporte un message du
souspréfet,
c'est le courageux Salhi, tout ému et justement fier de
son exploit.
Il est accueilli en ami. On prépare la réponse. Le lieutenant
Aubertier et Salhi Saïd vont la porter au bateau assurant la liaison.
Mais, à michemin,
la barque chavire ! Elle coule ! Ses passagers
seuls surnagent. Salhi se dirige vers le navire et remet la lettre qui
indique les points à bombarder pour atteindre les rebelles. Les tirs
qui suivent sont bientôt d'une précision remarquable (1).
Mais dès le matin, on reçoit de tristes nouvelles, la
confirmation de la mort de l'hôtelier Piras : puis celle de
l'assassinat de Mme et M. Lambert, qui ont voulu rester à leur
maison forestière de Tamsout. On sait également, vers 19 heures,
que la population de Mansouria s'est réfugiée dans l'île qui fait
face au groupement des habitations.
Un fait curieux, dans le duel tragique qui met aux prises les
deux camps ennemis, c'est la transmission rapide du récit des
événements intéressant chaque parti. Il y a des agents de liaison
bénévoles qui fréquentent et renseignent les belligérants : la
poignée de Français qui se défend avec énergie, d'une part, et la
(1) Le 15 août 1947, les journaux ont publié timidement en une locale : " Oued Marsa " que " la
médaille d'argent, de courage et de dévouement, vient d'être conférée à l'infirmier de l'hôpital
auxiliaire, M. Salhi Saïd ". Le communiqué officiel n'a pas osé dire la belle action accomplie par le
vaillant indigène, récompensé modestement... plus de deux ans après.
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foule de milliers d'émeutiers qui se rue à l'assaut du bordj encerclé,
d'autre part. Transmettre c'est savoir, et savoir, c'est être en
intelligence avec l'ennemi. Notre logique de roumis est imbattable
sur ce point. Or, du côté français, on enregistre les nouvelles
exactes qui arrivent ; on ne s'émeut pas des complicités qu'elles
dénoncent. On connaît la solidarité qui unit les musulmans pardessus
toutes les barrières et toutes les barricades. L'habitat
africain a créé, chez les Français, une philosophie que ne
déconcerte aucune constatation. Aton,
du reste, le temps de se
livrer à des appréciations ? On se bat. On ne pense qu'à cela,...
Les communications téléphoniques rétablies par M. Hosteins et
les dévoués collaborateurs des P.T.T. sont bientôt coupées à
nouveau. Et l'on n'a plus de fil pour assurer les réparations.
L'isolement s'affirme de plus en plus. Les patrouilles continuent à
accomplir leur tâche de reconnaissance et de refoulement partiel
des agresseurs.
On apprend, à 20 heures, que deux officiers américains ont été
rencontrés sur la route, où ils circulaient librement, dans une
voiture « américaine » venant, disaientils,
de SoukAhras.
Ils
avaient donc traversé, de bout en bout, toutes les régions
insurgées (1)...
Quelques coups de feu, dans la nuit. L'aube arrive. Le bordj n'a
pas été attaqué.
Dans la journée, on avait vu, avec étonnement, arriver sur la
route, en tournée d'inspection, le colonel Bourdila, de Sétif. Il
avait, dans son auto, son chauffeur et deux hommes armés. Pointe
audacieuse que ce chef, continuant la tradition africaine, trouvait
très naturelle...
(1) Ce sont sans doute les officiers anglais rencontrés à Kerrata aussitôt après la libération
du village. Cette circulation d'officiers alliés dans les régions sinistrées n'a pas manqué de donner
lieu à de nombreux commentaires.veille au soir. Il manque deux camarades. On part à leur recherche.
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
Le 12 mai au matin, une patrouille dirigée par MM. Lagaly et
Aubertier, capitaine et lieutenant de réserve, va recueillir les restes
du fusilier marin Hamond, trouvés dans le car.
M. Hosteins et le lieutenant Ottaviani essaient vainement
d'atteindre les corps de Mme Lambert et de son mari, garde
forestier. Ils rentrent à 19 heures, n'ayant pu remplir leur mission.
A 15 h. 30, le corps de M. Piras est inhumé dans la plaine, près
d'Aokas. Une cérémonie touchante a lieu à cette occasion.
A 18 heures, un incident attriste la colonie : le conducteur
européen de la camionnette des P.T.T., donne des signes de
dérangement cérébral. Il se sauve dans la campagne.
A 23 heures, M. Saurel, receveur des P.T.T. semble également
atteint mentalement. On le maîtrise et on le soigne a l'hôpital.
La nuit se termine sans autres incidents. Les deux derniers sont
significatifs de l'ébranlement nerveux provoqué chez certains par
les événements qui se déroulent avec rapidité et dont le récit ne
peut donner qu'une idée superficielle.
Disons tout de suite que le receveur des P.T.T. a repris
rapidement son équilibre et que le chauffeur européen a été
retrouvé, vingtquatre
heures après sa fugue, à proximité de
l'agglomération d'Aokas. Il était sain et sauf, heureusement, et
avait été simplement un peu désaxé par l'ambiance et une extrême
fatigue.
L'aube du 13 mai fait entrer les assiégés dans le cinquième jour
de leur résistance.
Les patrouilles ont permis des visites rapides aux fermes les
plus proches, afin de renouveler les provisions de bouche
nécessaires aux 400 personnes dont il fallait assurer la subsistance.
De ce côté, grâce aux détachements envoyés en reconnaissance, les
assiégés n'ont pas eu trop à souffrir.
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Le 13 mai, jour dominical, l'activité des défenseurs continue à
s'exercer. Dès le matin, M. Hosteins. accompagné d'un groupe de
fusiliers marins, avec leur chef M. Schneider, arrive à joindre les
cadavres de Mme et M. Lambert, qui sont inhumés sur place. Une
enquête est commencée ( 1 ).
A 10 heures, à Aokas, le père Moussion, des Pères blancs, dit
une messe en plein air, devant le catafalque contenant les restes du
fusilier Hamond.
Dans la soirée, on constate que les émeutiers se dispersent. Les
colons peuvent aller visiter leurs fermes, mais reviennent au bordj,
pour passer la nuit, qui est calme.
Le lundi matin, 14 mai, nouvelles visites des maisons isolées et
des fermes.
Le 16 mai, tous les Français réintègrent leurs domiciles. Aokas
est sauvé...
Les dévouements ont été nombreux. Civils et militaires ont
rivalisé de zèle. On n'ose citer des noms, de peur de commettre des
omissions, c'estàdire
des injustices.
La commune mixte d'Oued Mars a donné un bel exemple
d'union française et de courage collectif en présence du grave
danger dont elle a été menacée, cinq jours durant.
L'attaque dont le bordj administratif a été l'objet s'est
poursuivie avec ténacité pendant quatre jours. Il a fallu le cran des
défenseurs, leur activité de jour et de nuit, pour que, secondés par
les secours envoyés de Bougie et d'ailleurs, grâce à l'Armée qui est
(1) Notons ici que le 22 décembre 1945, le Tribunal militaire de Constantine a prononcé cinq
condamnations à mort : Hamani Mohamed, Hamani Aïssa, Khamli Mohand, Amraoui Ali et
Allouache Mohand. Les exécutions n'ont pas eu lieu, nous affirmeton.
Soixantecinq
inculpés ont
comparu — parmi lesquels, avec les assassins de Mme et M. Lambert, se trouvaient les agresseurs
du car Deschanel.— Cinquantesix
émeutiers se sont vus infliger des peines variant des travaux
forcés à perpétuité à un an de prison avec sursis. Quatre ont été acquittés.
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
intervenue avec rapidité et énergie, grâce à la Marine et à l'activité
de M. Byr, souspréfet,
ils aient pu échapper à un massacre
général.
Cap Aokas a été le dernier et définitif barrage opposé au flot
des agresseurs, qui composaient — quelques rares unités mises à
part, et que nous sommes heureux de signaler — l'unanimité de la
population indigène surexcitée par l'action des Oulémas, du P.P.A.
et des « Amis du Manifeste », de Sétif à Bougie en passant par
Kerrata.
La durée du conflit, qui a mis aux prises les Kabyles de l'est de
Bougie et les quelques Français isolés parmi eux, donne la note de
l'acharnement des agresseurs et du danger des formules optimistes
par lesquelles on essaie de tromper l'opinion publique dans la
Métropole.
* * *
Ainsi que nous l'avons vu, le petit centre de ZiamaMansouria
a
eu sa part de danger et d'inquiétudes. On peut dire que c'est grâce à
la belle attitude et aux initiatives heureuses de son Adjoint spécial,
M. Clanet, que sa population française est sortie indemne de
l'épreuve.
M. Clanet et la brigade de gendarmerie ont été prévenus, le
mardi 8 mai, à 23 heures, que de graves événements se préparaient
dans la région de Kerrata.
Le mercredi 9 mai, au matin, M. Clanet s'est rendu à Aokas et
est revenu avec 20 fusils et 1.420 cartouches. Ces armes ont été
distribuées par lui dans l'aprèsmidi
et un service de surveillance
organisé. M. Clanet a convoqué des notables indigènes, les a mis
au courant de la situation et leur a demandé d'assurer l'ordre dans
le village. Ils ont accepté. Des patrouilles, armées de fusils, ont fait
des rondes toute la nuit.
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Vers 23 heures, la patrouille, composée de MM Delgado et
Gabrielli et du garde champêtre Moussaceb, a mis en fuite une
dizaine d'individus qui étaient cachés dans une excavation, à
proximité du pont de l'oued Kemhoum (près du cimetière, à un
kilomètre du village). Toute la nuit, M. Clanet et un gendarme sont
restés au téléphone, prêts à faire face à toute éventualité.
Le jeudi 10 mai, les communications téléphoniques ayant été
coupées sur deux circuits, avec Bougie, une surveillance plus
étroite, de jour et de nuit, a dû être organisée.
Le vendredi 11 mai, M. Clanet téléphone, par Djidjelli, à la
Préfecture pour avoir du renfort, car on vient d'apprendre que des
bandes armées se rapprochent et qu'aux Falaises, M. Piras a été tué
et sa femme grièvement blessée.
Les femmes et les enfants de Mansouria sont rassemblés dans
la maison cantonnière. Une chenillette, partie de Mansouria vers 8
heures, montée par deux Européens armés, est arrêtée sur la route
du col de Bettacha. Les deux hommes sont désarmés, l'un de son
mousqueton, l'autre d'un revolver, et il leur est signifié d'avoir à
abandonner la chenillette. Ils ont cependant pu rentrer avec le
véhicule, grâce à la mésentente provoquée entre les dissidents,
certains voulant les tuer, alors que d'autres s'y opposaient.
Le danger devenant plus sérieux et les rebelles se rapprochant
du centre, le village étant cerné, M. Clanet téléphone à nouveau à
la Préfecture pour signaler la situation et demander des secours
immédiats. Au début de l'aprèsmidi
on décide d'évacuer le village
et la population se transporte sur l'île qui fait face à
l'agglomération. Vers 16 h. 30, un gardecôte
arrive, M. Clanet
monte à bord et le commandant, sur ses indications, fait tirer
plusieurs bordées dans la direction de la fraction Tizrarane (à l'est
de Mansouria).
UN DRAME ALGERIEN UN DRAME ALGERIEN
Plus tard, vers 19 heures, un croiseur, le Triomphant, stoppe au
large de l'île. M. Clanet le rejoint et monte à bord accompagné, du
gendarme Nicolau. L'adjoint spécial obtient 3 fusils mitrailleurs
et 4.500 cartouches, des pansements et 20 boîtes de lait condensé
pour les enfants.
Le navire tire plusieurs bordées sur des points indiqués.
MM. Clanet et Nicolau regagnent l'île à la nuit. Vers 23 heures,
des troupes arrivent au village, et la matinée du 12 mai est
consacrée à la rentrée des habitants dans leurs demeures.
Le 13 mai des opérations de police ont lieu dans les environs.
Vers 17 heures, le souspréfet
de Bougie, M. Byr, arrive, par mer, à
Mansouria et se rend compte de la situation. Il est accompagné par
le commandant de la marine à Bougie.
La marine a joué le rôle principal, par son intervention décisive
à Mansouria On a estimé le nombre des rebelles à 6 ou 700. Grâce
aux mesures prises à temps — mais juste à temps —par l'adjoint
spécial du centre et la gendarmerie, aucune victime n'a été
enregistrée. Le danger couru par les Français de Mansouria n'en a
pas moins été grand.
***
Ce récit ne serait pas complet si nous ne consacrions une page
au couvent des Pères blancs, qui est installé, depuis de nombreuses
années, à la sortie des gorges de Kerrata, du côté de Souk El
Tenine.
Ces Pères blancs ont rendu de nombreux services aux indigènes
de la région. Nombreux sont ceux qui ont été élevés par eux.
Quatre religieux ont été surpris par les événements. Ils n'ont pu
se replier. Sans doute n'y ontils
pas songé. Et constatation
réconfortante, qui n'a malheureusement pas été faite partout, ils
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ont trouvé des défenseurs parmi ceux qu'ils avaient guidés dans la
vie. Trente indigènes, armés, se sont institués leurs gardes du corps
et leur ont déclaré qu'ils se feraient plutôt tuer que de laisser passer
les émeutiers. Le chef de ces défenseurs a pour nom : Rahmouni ;
ses camarades et lui ont montré que la reconnaissance n'est pas un
vain mot, même au contact des propagandes les plus entraînantes.
La violence de l'attaque dont la région de Cap AokasKerrataMansouria
a été l'objet, la durée de la résistance des émeutiers, les
difficultés que présentaient pour les communications le relief
tourmenté des massifs montagneux où se réfugiaient les rebelles,
ont obligé les chefs de notre armée à prendre des mesures
énergiques, à envisager des opérations d'envergure qui rappelaient
les périodes les plus dures de la conquête de l'Algérie.
Disons à l'éloge de ces chefs et de nos soldats que l'affaire fut
menée avec toute la précision et la célérité désirables.
Le 22 mai 1945 fut pour la région d'Oued Marsa une journée
historique. Une cérémonie imposante a eu lieu sur les lieux mêmes
de la révolte, consacrée à la reddition de toutes les tribus mêlées
au drame qui avait eu lieu quinze jours auparavant. Cérémonie
militaire, cérémonie d'autorité, présidée par le général Henry
Martin, commandant le 19e Corps d'Armée, ayant à ses côtés MM.
LestradeCarbonnel,
préfet de Constantine, le général Duval,
commandant la Division, le général Weiss, commandant
l'Aviation. L'amiral Amanrich, commandant la Marine. Le général
Moragla de l'aviation, MM Byr et Butterlin, souspréfets
de
Bougie et de Sétif, M. Galle, délégué financier, M. Bordj, maire de
Bougie, de nombreuses notabilités militaires et civiles.
15.000 dissidents avaient été convoqués pour confirmer la
demande « d'aman » qu'ils avaient, de guerre lasse, adressée aux
représentants de la France M. Brives, Administrateur principal,
son adjoint, M. Hosteins, tous ceux qui avaient su faire leur devoir
au cours des journées tragiques, furent à l'honneur.
Le colonel Bourdila, après avoir résumé les opérations
militaires ayant permis d'avoir raison des émeutiers, dicta aux
fauteurs de troubles repentis les conditions exigées pour leur
entière soumission.
Le général Henry Martin, en termes élevés, dit les paroles
fortes qui convenaient, du haut d'une tribune rustique, au pied de
laquelle étaient rangés 16 caïds aux burnous écarlates brodés d'or.
Le Préfet du département, au nom du Gouvernement de la
République, précisa le programme qui doit assurer, dans l'ordre et
la paix, la mission civilisatrice de la France en Afrique du Nord.
De longs et émouvants compte rendus de cette manifestation
ont été donnés par les journaux du département, en particulier par
la Dépêche de Constantine et par l'Echo de Bougie, sous la plume
de notre ami M. Charles Dubar.
Soulignons avec plaisir la solennité de l'acte accompli. Quant
aux voeux qui ont été émis, laissons au temps le soin de les
réaliser.
Constatons qu'un gros travail de soudure reste encore
à assurer. Il sera long. Il sera voué à un échec si l'on continue à
appliquer la politique d'abandon et de défaillance condamnée par
tous les Français d'Algérie.
L'exemple, désormais historique, des scènes d'horreur
auxquelles nous venons d'assister en Afrique du Nord est une
réplique dure et sans appel pour ceux qui poursuivent l'illusion
d'une fusion possible en dehors des principes de justice et
d'autorité. Nous le disons une fois de plus, avec une tristesse
profonde, aux professeurs de chimères qui, retardant les solutions
pratiques les plus urgentes, ne font que précipiter de nouvelles
catastrophes.